BioRapidE : l’accélération laser-plasma au service de la radiothérapie

Enseignant-chercheur au Laboratoire d’optique appliquée (CNRS, École polytechnique, ENSTA - IP Paris) depuis 2009, Alessandro Flacco (D 2008) s’intéresse aux applications médicales des particules accélérées par laser, et notamment des électrons. Avec son projet BioRapidE soutenu par la Fondation de l’X, il entend notamment mettre en place un appareil pour explorer la toxicité sur le vivant des rayonnements ionisants très pénétrants et à très haut débit de dose, dans le cadre de la recherche dans le domaine de la radiothérapie oncologique.
BioRapidE : l’accélération laser-plasma au service de la radiothérapie Dispositif expérimental utilisé pour l’irradiation dans le cadre du projet BioRapidE
18 avr. 2025
Projet

Les travaux menés sur l’utilisation des particules accélérées à des fins médicales ont beaucoup avancé ces dernières années. Comment est né votre projet ? 

Tout au long de ma carrière, je me suis intéressé à l’accélération des particules par laser, en travaillant notamment sur la physique des plasmas créés par laser à très haute intensité, et sur l'accélération de protons par interaction laser-matière. Plus précisément, j’ai choisi de me concentrer sur ses applications médicales, c’est-à-dire l’utilisation des particules accélérées par laser pour la réalisation de radiothérapies. Dans ce domaine, les traitements par photons qui sont faciles à obtenir et peu coûteux, et les traitements par protons, très coûteux mais avec des avantages indéniables pour le patient, sont communément effectués. Entre 2010 et 2015, les premières expériences avec des électrons à très haut débit de dose ont été effectuées à l’Institut Curie à Orsay. Elles ont permis d’observer des effets particulièrement intéressants liés à la temporalité des traitements, et donc de mettre en évidence les avantages potentiels d’un traitement par radiothérapie avec des électrons. En parallèle, le monde de la radiothérapie oncologique a connu un véritable tremblement de terre avec la mise en évidence de l’effet « Flash ». Une séance de radiothérapie dure traditionnellement plusieurs minutes mais des chercheurs ont mis en évidence le fait qu’un traitement radio-oncologique effectué dans un temps très court - une fraction de seconde - aurait les mêmes effets thérapeutiques, mais beaucoup moins d’effets secondaires. Si cela était confirmé et transposé chez l’humain, cela permettrait de créer des traitements de radiothérapie beaucoup moins toxiques avec une marge thérapeutique plus importante. Le marché de la radiothérapie oncologique qui était figé autour de deux technologies existantes a donc été bouleversé avec la création de nouvelles start-up et la mise en œuvre de grands projets pour construire des machines produisant ces conditions de traitement. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à explorer le potentiel de l’accélération par laser des électrons à des fins médicales et qu’est né le projet BioRapidE.

Que proposez-vous avec ce projet ? 

En partant de nos expériences d’accélération de particules, nous cherchons à construire le pont vers les applications biologiques, sur la technique d’accélération, mais aussi sur la caractérisation et la manipulation du faisceau pour arriver à des termes sources compatibles avec ces applications. Avec le projet BioRapidE, notre objectif est de construire un irradiateur à électrons énergétiques à portée médicale qui sera installé sur le système laser à haute puissance moyenne de LAPLACE*. Ce prototype permettra d’explorer la toxicité sur le vivant des rayonnements ionisants très pénétrants et à très haut débit de dose. D’une part, il recevra le laser et d’autre part, il fournira une source avec laquelle les biologistes sauront travailler. Nous menons nos recherches en partenariat avec les équipes de l’Institut Curie et en étroite collaboration avec les utilisateurs potentiels de notre appareil, c’est-à-dire les radiothérapeutes. Celui-ci sera donc le fruit d’une décennie d’expériences et d’échanges avec celles et ceux qui en bénéficieront directement. 

Qu’apporte l’accélération laser-plasma par rapport aux systèmes d’accélération conventionnels ? 

Pour construire une machine médicale fonctionnant chez l’humain, il faut un accélérateur mesurant plus de 20 mètres de longueur, ce qui n’est pas compatible avec un hôpital ou un petit centre de recherche. Avec les accélérateurs laser-plasma, il est possible d’obtenir une énergie similaire dans un espace bien plus réduit en utilisant des impulsions intenses et ultracourtes de lumière laser. Ce qu’une machine conventionnelle fait en 15 mètres, un laser le fait en 1 cm ! C’est un avantage indéniable. 

Où en êtes-vous dans le développement de votre projet ? Quelles sont les prochaines étapes ? 

Nous avons validé notre « Proof of concept » qui nous a permis de mener une première expérience in vivo en mai 2024. Nous avons pu tester notre protocole d’irradiation en collaboration avec les radiobiologistes de l’Institut Curie. Depuis le mois dernier, nous analysons les données collectées afin d’obtenir des informations sur le développement des effets secondaires et sur la toxicité de ce traitement. Une fois les résultats consolidés, nous pourrons donc comparer ce dernier avec les traitements existants. En parallèle, nous attendons que le laser LAPLACE reçoive toutes les certifications nécessaires de la part de l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour pouvoir fonctionner à puissance maximale. Dès que cela sera le cas, nous serons en mesure de transposer ce que nous savons déjà faire à faible cadence sur la machine à haute puissance. Les dysfonctionnements, du point de vue de la physique et de la biologie, nous permettrons de faire évoluer notre prototype en réalisant des expériences de plus en plus complexes. In fine, c’est la validation médicale qui nous dira si les conditions dans lesquelles fonctionne notre machine sont intéressantes ou non. 

Votre projet BioRapidE est soutenu par la Fondation dans le cadre de la campagne « Servir la science ». Que vous permettent les fonds dont vous bénéficiez ? 

Le soutien des donateurs a été vital car il nous a d’ores et déjà permis de financer des frais liés au personnel que nous n’aurions pas pu gérer autrement, d’autant que les financements sont très difficiles à obtenir pour des projets transdisciplinaires comme le nôtre. Leur soutien contribue également à acheter les équipements nécessaires pour mener nos expériences et pour, à terme, mettre en place l’outil dédié qui supportera l’accélération et l’irradiation. Très concrètement, l’aide de la Fondation nous permet de monter en puissance en finançant toutes les études préliminaires, techniques et théoriques, pour aboutir à un grand projet industriel. 

Comment voyez-vous l’avenir ? 

Je le vois avec confiance ! Les conditions scientifiques dans notre laboratoire sont exceptionnelles : il y a tous les métiers, toutes les connaissances et l’on se situe au croisement d’un nombre incroyable d’expertises. L’utilisation des électrons à haute énergie pour développer des radiothérapies suscite aujourd’hui un très grand intérêt, et les expériences que nous avons menées nous ont permis de constater que nous avions une longueur d’avance. Notre accélérateur est le seul en France sur lequel sont menés des essais en radiobiologie à très haute énergie, et le laser LAPLACE nous permettra d’aller encore plus loin. Lorsque l’on regarde les résultats que nous avons obtenus et les avantages de l’accélération laser-plasma, la concrétisation de notre projet semble à portée.

* Le projet LAPLACE du Laboratoire d’optique appliquée (CNRS, École polytechnique, ENSTA - Institut Polytechnique de Paris) vise à développer un prototype d’accélérateur laser-plasma fonctionnant à haute cadence (100 Hz, soit 100 impulsions par seconde), adapté à de nouvelles applications industrielles et sociétales.

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