Décarbonation : un nouveau projet pour capturer et revaloriser le CO2 mené à Polytechnique

Face à l’urgence climatique, une équipe de chercheurs de l’École polytechnique développe depuis plusieurs mois un nouveau projet visant à capter directement le CO2 issu de l’atmosphère, et à le transformer à un moindre coût énergétique en recourant à l’emploi des plasmas. Rencontre avec Grégory Nocton, Directeur de recherche CNRS au Laboratoire de chimie moléculaire* et professeur chargé de cours à l’X, et Olivier Guaitella, Ingénieur de recherche au Laboratoire de physique des plasmas**, qui portent cette initiative innovante soutenue par la Fondation.
Décarbonation : un nouveau projet pour capturer et revaloriser le CO2 mené à Polytechnique Exemple de plasma de CO2 à pression réduite (de type « glow ») utilisé pour réaliser des études fondamentales d’interaction plasma/surface de matériaux adsorbants.
16 oct. 2023
Projet

Au-delà de la seule réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’élimination du dioxyde de carbone représente un enjeu majeur pour limiter le réchauffement climatique et ses conséquences. Vous avez lancé à l’École polytechnique un projet en ce sens. En quoi consiste-t-il ?

Grégory Nocton (G.N.) : L’objet du projet « Direct Air Capture » que nous avons initié est de capter directement le CO2 issu de l’atmosphère en faible concentration (415 ppm), et ce sélectivement par rapport aux autres constituants de l’atmosphère. La question de la sélectivité constitue un premier challenge scientifique dans la mesure où la concentration du CO2 dans l’air est à la fois très faible - de l’ordre de 0,04 % - et qu’il s’agit d’une molécule inerte qui n’a pas envie de réagir naturellement. Au Laboratoire de chimie moléculaire, nous fabriquons des molécules et des matériaux innovants capables de réaliser ce captage de manière sélective. Une fois capté, notre objectif est de relâcher le CO2 hors atmosphère afin de régénérer le matériau piège qui peut ainsi poursuivre son captage atmosphérique. Un second challenge scientifique réside dans l’énergie que demande cette opération.

Pour relever ce challenge, vous proposez de recourir à l’emploi de plasmas, ce qui rend votre projet particulièrement innovant et transdisciplinaire. Comment agissent les plasmas et quels sont leurs avantages ?

Olivier Guaitella (O.G.) : Au sein du Laboratoire de physique des plasmas, nous travaillons sur des problématiques de traitement de l’air intérieur et sur la valorisation du dioxyde de carbone par plasmas. Au cours de manipulations visant à convertir du CO2 en méthane, nous avons constaté que les carbonates formés sur différents catalyseurs pouvaient aisément être désorbés par le plasma, régénérant ainsi la surface des matériaux dans leur état initial. De là est née l’idée d’utiliser des plasmas froids pour palier à l’étape la plus énergivore de la « Direct Air Capture », à savoir la régénération des matériaux de captage. Les méthodes thermiques comme le chauffage sous vide, actuellement utilisées pour relarguer le CO2, sont particulièrement énergivores. Les plasmas peuvent au contraire favoriser le relargage à un coût énergétique moindre (NET négatif).

Quelles sont les prochaines étapes pour votre projet ?

G.N. : Nous n’en sommes qu’au début de nos recherches qui sont basées sur des hypothèses scientifiques sérieuses, innovantes et originales. La première étape va consister à valider ces hypothèses et pour cela, nous allons étoffer notre équipe. Nous devrons ensuite faire des allers/retours entre le développement de matériaux et le choix de sources plasmas pour tester ces derniers. L’objectif étant de trouver la source à plasma optimale pour que le matériau ne se dégrade pas et puisse continuer à capter le CO2.

À plus long terme, quelles seront les applications de vos recherches ?

O.G. : Plusieurs projets d’élimination du dioxyde de carbone sont actuellement développés à plus grande échelle, par exemple via d’énormes ventilateurs installés dans plusieurs pays. Avec notre projet et le recours aux plasmas, nous pouvons imaginer des systèmes moins industriels pour des applications plus locales. Contrairement à ces systèmes à grande échelle qui nécessitent l’emploi de fours chauffant à très haute température, l’association plasma-adsorbant ne nécessite que relativement peu d’électricité pour filtrer le CO2 dans un espace confiné comme une maison ou une salle de classe. Notre ambition est non seulement de piéger le CO2, mais aussi de le valoriser sur place en le transformant en molécules utiles.

Votre projet bénéficie du soutien d’Éric Philippon (X 1987), Grand donateur de la Fondation de l’École polytechnique. Qu’allez-vous pouvoir entreprendre grâce à cette aide financière ?

G.N. et O.G. : Avant tout, nous tenons à remercier une nouvelle fois Éric Philippon de la confiance qu’il accorde à notre projet. Comme nous l’évoquions précédemment, nous avons besoin d’étoffer notre équipe et allons donc être en mesure de recruter très prochainement des doctorants. Nous prévoyons également d’organiser un workshop dédié à l’élimination du carbone dans l’air qui devrait avoir lieu fin 2024 à l’École polytechnique. Notre objectif est de rassembler des scientifiques travaillant sur les plasmas ou sur la capture du CO2 ainsi que des décideurs publics et privés s’intéressant de près à ces sujets, pour permettre de confronter les différents points de vue.

 

* LCM : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

** LPP : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Observatoire de Paris, Sorbonne Université, Université Paris-Saclay

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