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Des nœuds dans l’ADN pour lutter contre des agents pathogènes ?
Image d’Épinal ou véritable icône de la biologie, l’ADN est célèbre grâce à son agencement en double-hélice et ses liaisons adénosine-thymine (A-T) et guanine-cytosine (G-C) reliant ses deux brins. Des entorses à ce plan d’assemblage universel peuvent cependant modifier l’aspect de la molécule : des nucléotides de guanine se lient parfois entre eux sur un même plan pour former des quartets. Ces derniers s’empilent alors spontanément les uns sur les autres pour donner naissance à des G-quadruplex (G4), sortes de nœuds d’ADN pouvant impacter l’expression et la réplication du génome.
Ces rebelles de l’ADN sont présents dans l’ensemble du vivant. « Je m’intéresse à eux et à leur rôle dans la physiologie des cellules et l’évolution depuis 30 ans », s’amuse Jean-Louis Mergny, Directeur de recherche au LOB. « Avec le projet PathoGen que je dirige, je les étudie chez certains organismes vecteurs de maladies. L’objectif est double : d’une part toujours mieux comprendre le vivant ainsi que le rôle de ces structures chez ces pathogènes et leur évolution, et d’autre part les transformer potentiellement en cibles thérapeutiques ». La fréquence d’apparition des maladies nouvelles pour l’homme ayant été multipliée par quatre en 50 ans, d’autres pandémies comme celle du Covid sont à prévoir au cours du XXIème siècle : la grippe aviaire, qui s’étend à d’autres espèces animales représente par exemple une menace aussi bien pour notre agriculture que la santé humaine. Ces pandémies seront favorisées par la mondialisation des échanges, la concentration urbaine des populations, l’agriculture intensive et le changement climatique. Dans ce contexte, PathoGen prend tout son sens.
Ainsi, parmi les agents pathogènes qu’il étudie, le biochimiste s’intéresse à des parasites comme Plasmodium falciparum et Trypanosoma cruzi - respectivement responsables du paludisme et de la maladie de Chagas - certains nématodes, ou encore un plathelminthe parasite de l’homme, Schistosoma mansoni. Ce ver plat à l’origine de la bilharziose intestinale, sévit dans les zones tropicales d’Afrique et d’Amérique où il tue 200 000 personnes et en infecte 200 millions chaque année. À l’issue d’une étude publiée en 2022, Jean-Louis Mergny a démontré que S. mansoni et d’autres espèces de vers portent de nombreux G-quadruplex tout en s’en accommodant. « Leurs cellules possèdent probablement une enzyme qui nettoie leur génome de ces structures et du coup, facilite sa réplication ». La même étude a en outre révélé de petites molécules - ligands - capables de se lier aux G4 de S. mansoni et de les consolider. « Cela revenait à recouvrir un nœud avec de la colle dont il était difficile pour une cellule de se débarrasser. Nous avons constaté un réel effet antiparasitaire ».
Côté virus, SARS-CoV-2 n’aura pas non plus échappé aux experts du projet PathoGen. Ceux-ci ont remarqué qu’à l’instar de tous les virus à réplication rapide, le Covid présente peu ou pas de G-quadruplex dans son génome. Pourtant, il produit une protéine qui fixe ces structures ! Celle-ci lui permettrait ainsi de reconnaître les ARNs d’origine cellulaire ou virale, pour favoriser ces derniers. Ainsi, lorsque le virus détourne la machinerie cellulaire de son hôte pour se multiplier, celui-ci n’est d’une part pas encombré par des G4, et il parvient ainsi à différencier son matériel génétique de celui de son hôte pour le faire passer en priorité dans les rouages de la réplication ou de la transcription. « Si nos ligands entrent en compétition avec la protéine fixatrice produite par le Covid, celui-ci ne reconnaît plus le matériel prioritaire et peine à se multiplier. Nous constatons une activité antivirale sensible, que nous chercherons à étendre à d’autres coronavirus ».
Grâce à ces résultats, le projet PathoGen a révélé une preuve de concept antiparasitaire et antivirale pour plusieurs familles de ligands des G-quadruplex ; première étape d’une démarche à visée thérapeutique. « Nous devons améliorer ces molécules pour qu’elles ciblent des G4 précis et n’agissent pas à l’aveugle dans le génome. Il est aussi nécessaire d’étudier leur éventuelle toxicité sur les cellules non infectées, car ces structures jouent également un rôle dans notre génome », souligne Jean-Louis Mergny. À terme, les ligands pourraient être utilisés comme « armes de persuasion » afin d’éviter les phénomènes d’antimicrobiorésistance.
Il faudra encore du temps pour arriver à ce stade, le temps de la recherche académique fondamentale. Comprendre l’évolution de ces structures dans nos génomes est essentiel pour pouvoir convertir cette connaissance en outils puis en médicaments. Une recherche d’autant plus nécessaire que sous la pression du changement climatique, les parasites tropicaux comme Schistosoma mansoni s’implantent petit à petit sous nos latitudes, provoquant des maladies de moins en moins tropicales mais toujours négligées. Jean-Louis Mergny a d’ailleurs organisé avec des collègues du LOB les deux dernières journées scientifiques nationales sur ces structures à l’École polytechnique, en 2023 et 2024.
*LOB : une unité mixte de recherche CNRS, Inserm, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France