Polarima : quand la lumière polarisée permet d’améliorer le diagnostic biomédical

Professeur à l’École polytechnique et responsable de l’activité de recherche centrée sur l'imagerie polarimétrique biomédicale au sein du Laboratoire de physique des interfaces et des couches minces (LPICM)*, Angelo Pierangelo développe avec son équipe une nouvelle technique d’imagerie optique reposant sur la polarisation de la lumière. Cette propriété, qui s'avère très pertinente pour déterminer l'état sain ou pathologique des tissus biologiques, pourrait révolutionner l’imagerie diagnostique et le traitement de différentes maladies.
Polarima : quand la lumière polarisée permet d’améliorer le diagnostic biomédical Angelo Pierangelo
27 fév. 2024
Projet

La pluridisciplinarité au cœur du projet

Au cours des dernières décennies, l’imagerie médicale s’est considérablement développée, permettant d’améliorer significativement la prise en charge des patients. Les techniques conventionnelles, actuellement utilisées dans les hôpitaux, telles que la tomographie par émission de positons ou l'imagerie par rayons X utilisent des radiations très pénétrantes pour explorer les parties internes du corps humain. Elles présentent cependant des limites, notamment en termes de résolution des images obtenues, de l'ordre du millimètre, ce qui ne permet pas de visualiser les zones pathologiques à un stade précoce. Par ailleurs, l'imagerie optique permet d’atteindre une résolution de l'ordre du micromètre. Toutefois, elle nécessite un accès direct au tissu à explorer (à travers les cavités du corps, par exemple) et produit souvent des images en lumière blanche peu contrastées. C’est pourquoi de nombreuses équipes travaillent sur la mise au point de nouvelles techniques optiques (tomographie optique cohérente, fluorescence, etc.) capables de produire des images avec des contrastes améliorés.

Dans ce contexte, Angelo Pierangelo et son équipe développent au sein du LPICM l’imagerie polarimétrique de Mueller, une technique d’imagerie optique qui exploite la polarisation de la lumière. La théorie de l’électromagnétisme explique que la lumière est constituée d’un champ électrique et d’un champ magnétique fortement interconnectés qui oscillent dans l’espace et dans le temps. La polarisation correspond alors à la trajectoire spatio-temporelle du champ électrique. En général, l’état de polarisation de la lumière se modifie après son interaction avec un matériau, notamment un tissu biologique. En caractérisant ce changement, il est donc possible de déterminer les propriétés polarimétriques de l’échantillon étudié et d'obtenir des informations sur sa microstructure. En particulier, l’imagerie polarimétrique de Mueller permet la caractérisation polarimétrique complète d’un échantillon.

« Notre laboratoire est pionnier pour les applications biomédicales de l’imagerie polarimétrique de Mueller et nos recherches sont menées en étroite collaboration avec le monde médical et hospitalier. Grâce à la polarisation de la lumière, les praticiens (cliniciens, chirurgiens, etc.) ont accès à des informations uniques sur la microstructure et le métabolisme des tissus biologiques, qui peuvent représenter un complément précieux aux techniques d’imagerie conventionnelles », explique Angelo Pierangelo. « Dans le cadre du projet Polarima, nos recherches portent notamment sur l’analyse in vivo de la microstructure du col utérin pour deux applications différentes : améliorer la détection et la résection chirurgicale des lésions précancéreuses ; diagnostiquer efficacement les accouchements prématurés chez les femmes enceintes », détaille le chercheur.

Un nouvel instrument et une première étude clinique

Bien que la mise en œuvre in vivo de l’imagerie polarimétrique de Mueller reste très difficile, l’équipe du LPICM a relevé ce défi en développant un colposcope polarimétrique de Mueller aux performances inégalées. Ce système a été réalisé en intégrant un polarimètre de Mueller miniaturisé dans un colposcope conventionnel, c’est-à-dire un microscope binoculaire à faible grossissement déjà utilisé en médecine pour analyser la surface du col utérin. Ce nouvel instrument émet de la lumière avec des états de polarisation bien définis pour éclairer le tissu à examiner, et analyse la lumière rétrodiffusée par ce dernier. « Notre colposcope est capable de produire des images polarimétriques in vivo à plusieurs longueurs d'onde, du bleu jusqu’au proche infrarouge, afin d’explorer le tissu cervical à différentes profondeurs, en une seconde, avec un champ de vue macroscopique et une résolution spatiale d'environ 50 micromètres par pixel. Ce nouveau système d’imagerie présente dès lors plusieurs avantages : il permet d’obtenir des images macroscopiques du col utérin en fournissant des informations sur sa microstructure grâce à la caractérisation de ses propriétés polarimétriques ; il est mis en œuvre sans contact ni application de produits chimiques et utilise des sources lumineuses non-nocives pour les patientes ; il est simple d’utilisation pour les médecins puisqu’il ne modifie que très peu la pratique médicale ; il reste d’un coût modéré », poursuit Angelo Pierangelo. 

En particulier, le colposcope polarimétrique de Mueller a été conçu à l'origine pour améliorer la détection précoce et la résection chirurgicale des lésions précancéreuses du col utérin. Ce sont les discussions entre chercheurs et gynécologues qui ont fait émerger la possibilité d’appliquer le même système à l’examen du col utérin des femmes enceintes afin d’améliorer le diagnostic des accouchements prématurés. « Nous avons constaté que la réponse polarimétrique du col utérin était étroitement liée au collagène, la principale protéine qui détermine les propriétés mécaniques des tissus biologiques et qui joue un rôle crucial dans les accouchements à terme et prématurés. Depuis 2020, et grâce au soutien de l’Agence Nationale de la Recherche, nous menons une étude clinique sur plusieurs centaines de patientes au CHU du Kremlin-Bicêtre qui nous permettra d’effectuer des analyses statistiques fiables et de franchir l’étape de l’implémentation in vivo ». Une nouvelle étude clinique est également en préparation pour déterminer les performances du système dans la détection des lésions précancéreuses. 

Le LPICM est ainsi l'un des premiers laboratoires au monde à avoir développé un système d'imagerie basé sur l'imagerie polarimétrique de Mueller, pouvant être testé in vivo en milieu hospitalier dans le cadre d’études cliniques.

Vers une technologie mutualisable

Forte de l’expertise unique développée dans la conception et la fabrication de nouveaux systèmes d’imagerie optique utilisant la polarimétrie de Mueller pour le diagnostic biomédical, l’équipe menée par Angelo Pierangelo doit désormais se concentrer sur l’utilisation de tels systèmes par les praticiens en situation réelle, en tenant compte des importantes contraintes techniques et humaines liées à l’environnement médical et hospitalier. 

La production d’images polarimétriques en temps réel représente un véritable défi technique à relever. En effet, une telle solution permettrait de faciliter considérablement l’utilisation de l’imagerie polarimétrique de Mueller in vivo sans aucune modification des procédures médicales établies, condition nécessaire pour que cette technique soit acceptée pour une utilisation de routine à la fois par les praticiens et les patients. En outre, l'équipe prévoit de combiner l'imagerie polarimétrique de Mueller avec d'autres techniques d'imagerie optique afin de développer une approche multimodale et multi-échelle qui ouvrira la voie à de nouvelles stratégies de diagnostic et de traitement pour divers types de pathologies, y compris le cancer.

Poursuivant son ambition de concevoir de nouveaux systèmes d’imagerie combinant une technologie aux performances inégalées avec l’intelligence artificielle, l’équipe d’Angelo Pierangelo doit également développer des algorithmes d’apprentissage avancés à partir des données collectées dans le cadre des études cliniques menées sur l’accouchement prématuré et le cancer du col utérin. Dans ce cadre, elle travaille en étroite collaboration avec le Centre des mathématiques appliquées (CMAP) de l’X et avec le laboratoire ICUBE de Strasbourg.

À plus long terme, les chercheurs envisagent d’élaborer un système simplifié pouvant être déployé dans les pays à faibles revenus où l’absence de dépistage de ces pathologies se traduit par des taux de mortalité particulièrement élevés. 

Pour continuer à se développer, le projet Polarima nécessite de fonds. « Nous avons obtenu des résultats très prometteurs, mais pour garder ce niveau et aller encore plus loin, nous devons disposer de moyens financiers. Le soutien des donateurs nous permettra d’étoffer notre équipe, qui se compose actuellement de 3 doctorants à temps plein et de moi-même, ainsi que d’un autre chercheur à temps partiel, mais aussi d’acheter l’équipement nécessaire au développement de l’instrumentation. En effet, nous travaillons à la mise au point d’une technologie mutualisable, facilement adaptable aux différents développements menés au LPICM, notamment les endoscopes polarimétriques de Mueller permettant l’exploration des organes internes du corps humain, qui peuvent être utilisés pour le diagnostic et la chirurgie mini-invasive dans des nombreux domaines médicaux (urologie, neurochirurgie, etc.) », conclut le chercheur.

Alors que la santé représente l’un des grands défis de notre époque, les recherches et les nouvelles techniques développées à l’École polytechnique dans le cadre du projet Polarima pourraient bien révolutionner le diagnostic biomédical. 

* Laboratoire de physique des interfaces et des couches minces (LPICM - CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris)

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