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Rencontre avec Karim Beguir (X 1997), Grand donateur
Pourriez-vous revenir sur votre parcours avant votre entrée à l’École polytechnique ?
Je suis franco-tunisien et j’ai eu la chance de grandir entre ces deux pays. Ma mère est originaire des Hautes-Alpes et mon père, du désert tunisien. Je suis né en France et lorsque j’avais un an, notre famille s’est installée à Tataouine, aux portes du Sahara, où mon père exerçait la médecine. J’ai effectué toute ma scolarité en Tunisie avant de venir faire ma terminale à Paris au Lycée Janson-de-Sailly où j’ai poursuivi mes études en classes préparatoires. En 1997, j’ai réussi le concours de l’X qui me paraissait pourtant être un obstacle insurmontable. Intégrer Polytechnique était un rêve pour moi et je l’ai toujours vécu comme un privilège et une chance extraordinaire.
Qu’avez-vous retenu de votre passage à l’École ? Si vous deviez qualifier l’X en un mot, quel serait-il ?
J’ai fait mon service dans l’armée de l’air sur une base de chasse. Pour moi qui avais grandi avec les aventures de Tanguy et Laverdure, Top Gun et les histoires de pilotes, c’était un deuxième rêve devenu réalité ! Cette période a été très enrichissante et m’a offert l’occasion de rencontrer des personnes venues d’horizons différents. Après cette année hors normes, j’ai été très heureux de revenir sur le Platâl et de me remettre à fond dans les études. J’ai alors choisi de me spécialiser en mathématiques appliquées et en économie. Si je ne devais choisir qu’un mot pour définir Polytechnique, je dirais « passionnant ». Les deux années passées sur le campus figurent parmi les meilleures de mon parcours. Nous avions des cours sur des sujets extrêmement variés. Un jour sur l’histoire économique du XIXe siècle, le lendemain sur la physique quantique et le surlendemain, sur la bio-informatique ! Je garde de cette période des souvenirs formidables, avec des professeurs exceptionnels et des amis pour la vie. À l’X, j’ai appris qu’il était possible de devenir très bon sur un sujet, très rapidement. Cette École permet de développer une capacité d’adaptation extraordinaire, une capacité « d’apprendre à apprendre » en quelque sorte. J’ai aussi retenu que tout est possible et qu’il ne faut pas se limiter. C’est nous-mêmes qui nous mettons des barrières, mais avec de la volonté et de la passion, nous sommes capables d’aller très loin.
Après vos études à l’École polytechnique, vous avez choisi l’univers de la finance.
Après l’X, je suis parti à l’ENSAE pour une formation complémentaire qui m’a permis d’obtenir un double-diplôme avec le Courant Institute of Mathematical Sciences de la New York University en 2003. À l’époque, la bulle Internet avait explosé et l’on venait d’assister au crash des télécoms. Si l’on était mordu de mathématiques appliquées, la voie royale était la modélisation des risques et le développement de nouvelles méthodes en mathématiques financières. C’est donc vers ce secteur que je me suis tourné, et je suis devenu ingénieur financier chez J.P. Morgan à Wall Street. J’y ai développé une capacité à innover sur les modèles de marché, avant d’aborder également la gestion des risques complexes. En 2007, j’ai rejoint Merrill Lynch à Londres, racheté ensuite par Bank of America pendant la crise financière, puis UBS de 2010 à 2013. Ces 10 ans de carrière dans l’univers de la finance ont représenté une période intense mais je l’ai vécue comme un passage et un tremplin. J’ai toujours eu l’ambition de me réinventer et de me lancer dans l’entrepreneuriat pour apporter quelque chose de plus tangible et positif à la société.
En 2014, vous créez InstaDeep qui est aujourd’hui un acteur majeur de l’intelligence artificielle. Comment a débuté cette aventure ?
J’ai toujours été passionné par l’intelligence artificielle, bien avant que ce sujet ne soit sur le devant de la scène. En 1998, j’ai écrit un article pour X-Passion sur Alan Turing, Bletchley Park et le cassage du code Enigma, puis au début des années 2000, j’ai entraîné mes premiers réseaux de neurones. Mais au début de mon aventure entrepreneuriale, l’IA n’était pas au cœur de du projet. Je souhaitais apporter quelque chose à la Tunisie, et plus largement à l’Afrique dont la capacité d’innovation est encore trop souvent sous-estimée. J’étais revenu aux sources, dans le sud tunisien, où j’avais lancé avec un partenaire « L’Académie », une activité semi-caritative reposant sur des centres de football. Mon ambition était d’attirer les jeunes avec le foot puis ensuite leur apprendre à programmer et à développer leur potentiel. Je cherchais quelqu’un pour m’accompagner sur certains aspects du projet et j’ai rencontré Zohra Slim avec qui j’ai adoré travailler ! Une start-up, c’est avant tout une aventure humaine, plutôt qu’une idée ou un business model. InstaDeep est née en 2014 de cette rencontre avec Zohra. Nous avons démarré avec 2 000 euros en poche et deux ordinateurs mais surtout, avec beaucoup de volonté et d’énergie positive.
En 10 ans, InstaDeep a bien grandi…
Lorsque Zohra et moi avons lancé le projet, l’idée était d’être un prestataire général en tech mais un an plus tard, j’ai eu un déclic en lisant un article de recherche sur les réseaux de neurones et le deep learning – et j’ai compris qu’InstaDeep pouvait devenir compétitif dans le domaine de l’IA. Nous nous sommes alors investis à 200 %, avons créé une petite équipe de recherche tout en développant la partie software, et petit à petit, nous avons réussi à faire des choses formidables. Le retentissement de notre premier article de recherche a été tel que nous avons été invités à présenter notre travail aux leaders de Google AI et de DeepMind avec lesquels nous avons ensuite collaboré. Tout cela a généré un effet boule de neige et nous avons multiplié les projets. Avec la Deutsche Bahn, nous avons par exemple développé le plus grand système de gestion du trafic ferroviaire au monde à base d’IA et durant la pandémie, nous avons élaboré avec BioNTech le premier système d’alerte sur les variants du Covid-19 reposant sur de l’IA générative. Après une levée de fonds record de 100 millions de dollars en 2022, nous avons rejoint BioNTech Group en juillet 2023 tout en conservant la marque InstaDeep. Il s’agit de la plus grande acquisition en IA en dehors des États-Unis et de la plus grande exit d’une start-up tech ayant démarré en Afrique. Aujourd’hui, InstaDeep est présent dans une dizaine de pays dans le monde et emploie 450 collaborateurs dont 150 à Paris. Nous poursuivons notre développement en tant que leader européen et mondial de l’intelligence artificielle en ciblant deux domaines prioritaires – l’IA et les sciences de la vie, et l’optimisation industrielle avec l’IA –, et ce toujours avec la même passion.
L’X a célébré en 2024 ses 230 ans. Dans un monde en pleine mutation, quel rôle doit-elle selon vous jouer ?
Internet a été une force considérable au niveau économique et social mais l’intelligence artificielle entraînera des transformations encore plus grandes et changera le monde rapidement dans les années à venir. Dans ce contexte, l’X a un rôle exceptionnel à jouer. Les formations qui y sont dispensées sont exactement celles dont ont besoin les décideurs, chercheurs et ingénieurs pour créer des richesses et des solutions positives à base d’IA. Avec son côté polyvalent, la capacité d’adaptation qu’elle inculque et son expertise en maths appliquées, Polytechnique est particulièrement bien placée pour maîtriser cette technologie et au-delà, ses enjeux et son impact sur la société. Les changements en cours sont une grande opportunité pour l’X, une chance qu’il lui faut saisir pour rayonner encore davantage.
Vous avez choisi de vous engager en faveur de votre Alma Mater en devenant Grand donateur dans le cadre de la campagne « Servir la science ». Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
C’est un grand honneur pour moi de devenir Grand donateur de la Fondation de l’X. J’ai toujours eu la volonté d’être utile, c’est le moteur de mon engagement. Pour moi, il est important de donner plus que ce que l’on a reçu, d’être un contributeur net positif. Polytechnique est l’institution académique qui m’a le plus apporté et qui a eu le plus grand impact mon parcours. C’est donc très naturellement que je souhaite soutenir l’X et amplifier la dynamique positive à l’œuvre. À travers mon don qui s’inscrit dans une démarche de « give back », je souhaite créer une « culture de l’abondance » et j’espère que ce n’est qu’un début, et que de nombreux camarades me rejoindront. Il y a deux manières de voir le monde : on peut penser que les ressources sont fixes et qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle, ou au contraire penser que les ressources sont illimitées et que la limite se trouve dans notre capacité à innover et à collaborer. C’est pour ce deuxième monde que je me bats et il y a énormément d’initiatives positives à créer ensemble !
Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux nouvelles générations d’élèves de l’X ?
Je leur dirais qu’ils ont la formation idéale pour faire face aux défis du monde actuel et construire des projets formidables. Mais surtout, je leur dirais qu’il ne faut pas avoir peur de prendre des risques dès lors qu’ils suivent leur passion, leurs centres d’intérêt et qu’ils développent leurs compétences. Cela ouvre parfois des portes d’une manière très inattendue, c’est ce que j’ai appris à travers l’aventure InstaDeep. Ce qui compte, c’est l’intention, c’est de faire les choses pour les bonnes raisons. Les opportunités sont là, alors osez !