Vladislav Yastrebov et Jérémy Bleyer, lauréats du prix Jean Mandel 2023

Tous deux chercheurs en mécanique des solides, respectivement au Centre des Matériaux de l’École des Mines et au Laboratoire Navier de l’École des Ponts, Vladislav Yastrebov et Jérémy Bleyer (X 2007) se sont vu décerner le prix Jean Mandel le 25 octobre 2023 lors d’une cérémonie à l’École polytechnique. Destiné à encourager la recherche scientifique dans le domaine de la mécanique des solides ou de la mécanique et rhéologie des matériaux, ce prix est financé par l'École polytechnique via sa Fondation et par l'École des Mines de Paris.
Vladislav Yastrebov et Jérémy Bleyer, lauréats du prix Jean Mandel 2023 Vladislav Yastrebov et Jérémy Bleyer
12 déc. 2023
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Vous êtes tous les deux de jeunes chercheurs en mécanique des solides. Pourriez-vous nous présenter vos parcours respectifs ?

Jérémy Bleyer (J.B.) : Je suis un ancien élève de la promotion 2007 du Cycle Ingénieur de l’École polytechnique. J’y ai suivi un parcours en mécanique des solides et des structures. Après avoir effectué ma 4A à l’École des Ponts où je me suis spécialisé dans le domaine du génie civil, j’ai intégré le corps des Ponts, des Eaux et des Forêts. J’ai rejoint le Laboratoire Navier pour effectuer une thèse consacrée aux méthodes numériques pour le calcul à la rupture des structures de génie civil, thèse que j’ai soutenue en 2015, avant de faire un postdoc à l’EPFL. Je suis aujourd’hui chercheur au Laboratoire Navier et j’exerce en parallèle une activité d’enseignement aux Ponts et à l’École polytechnique auprès des élèves ingénieurs de 2e année.

Vladislav Yastrebov (V.Y.) : Je suis pour ma part diplômé de l’Université Polytechnique de Saint-Pétersbourg où j’ai obtenu un Bachelor puis un Master en mécanique théorique. Après mes études, j’ai travaillé comme ingénieur au sein du centre de recherche de l’entreprise Corning, spécialisée dans la production de verre et de céramique. J’ai ensuite souhaité revenir à quelque chose de plus fondamental et j’ai donc débuté une thèse au Centre des Matériaux de l’École des Mines dirigée par Georges Cailletaud et Frédéric Feyel. De 2011 à 2012, j’ai effectué un postdoc à l’EPFL et depuis 2013, je suis chargé de recherche CNRS, toujours à l’École des Mines. D’ailleurs, j’ai rencontré Jérémy lors de mon passage ultérieur à l’EPFL.

En octobre dernier, vous avez reçu le prix Jean Mandel qui récompense les recherches que vous menez. En quoi consistent-elles ?

J.B. : Une partie de mes recherches s’inscrit dans la continuité de mon sujet de thèse. Elles visent à développer de nouveaux modèles mécaniques avancés pour décrire le comportement des structures, et à élaborer des outils de simulation numérique pour reproduire la rupture des structures. Il existe plusieurs types de rupture : des ruptures dites plastiques ou ductiles, c’est-à-dire que le matériau se déforme progressivement avant de rompre, et des ruptures dites fragiles pour lesquelles on note l’apparition d’une fissure de manière brutale. Mon postdoc portait sur la simulation de la propagation des fissures dans les matériaux fragiles et je m’intéresse depuis à ces deux types de rupture. Les outils numériques que nous développons nous permettent aussi d’optimiser les structures, en termes de forme géométrique ou de quantité de matériaux utilisée, tout en conservant les mêmes capacités de résistance. Cette question de l’optimisation est assez centrale dans mes travaux.

V.Y. : Pendant ma thèse, j’ai travaillé sur la construction d’algorithmes pour les problèmes de contact et de frottement qui sont au cœur de mes recherches. L’objectif de celles-ci est de développer des modèles pour comprendre ce qu’il se passe à toute petite échelle entre deux surfaces rugueuses lorsqu’elles entrent en contact. Petit à petit, nous avons commencé à ajouter différentes briques pour étudier ce contact : le comportement non-linéaire du matériau (plasticité et viscoélasticité), l’introduction de fluide dans l’interface, la conductivité thermique et électrique dans les interfaces de contact à petite échelle, ou encore l’aspect métallurgique lorsque l’interface est chauffée.

Parlons à présent des applications de vos recherches. Quelles sont-elles ?

J.B. : Mes recherches répondent à deux grandes préoccupations : l’aspect gestion des risques dans l’ingénierie et dans le secteur de la construction, et l’aspect construction durable. Nous développons des méthodes robustes et fiables pour décrire la rupture et la défaillance des structures, mais aussi estimer et quantifier les marges de sécurité à notre disposition, notamment pour les ouvrages anciens. Sur l’aspect construction durable, nos travaux permettent de mieux concevoir et d’optimiser les structures et ainsi de réduire la consommation en matériaux dans un secteur très émetteur du point de vue environnemental. Nous avons mené plusieurs travaux dans le cadre de thèses CIFRE avec de petites et de grandes entreprises. Nous travaillons par exemple avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) avec lequel nous étudions l’impact d’un incendie sur la résistance de poutres en béton armé. Plus récemment, nous avons commencé une collaboration avec la société XtreeE, spécialisée dans l’impression 3D du béton, pour laquelle nous développons des modèles théoriques de dimensionnement pour comprendre comment fonctionnent ces nouvelles structures.

V.Y. : Mes recherches portent toujours sur l’étude des contacts et des frottements entre les corps, basée sur des calculs numériques. Je travaille sur des thématiques variées comme par exemple sur le contact pneu/chaussée (qui va de l’étude du matériau en lui-même à celle du frottement gomme/chaussée) ou sur les questions d’étanchéité et de lubrification avec des entreprises comme EDF ou ArcelorMittal. Dans un tout autre registre, nous avons travaillé avec les chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris sur les séismes glaciaires qui sont détectés près des pôles et dont on ignorait l’origine. Nous avons d’abord pensé qu’ils provenaient du glissement des glaciers mais nous avons ensuite découvert que les signaux sismiques provenaient du vêlage des icebergs instables contre les glaciers. Avec des modèles d’interaction iceberg/glacier/océan que nous avons développés, nous avons pu estimer la perte de glace au Groenland dans le passé récent par l’analyse des signaux sismiques exclusivement.

Vous êtes lauréats du prix Jean Mandel 2023. Que représente cette distinction pour vous ?

J.B. : Je suis très heureux de recevoir ce prix qui vient récompenser mon travail personnel mais aussi reconnaître le travail de toute une équipe puisque je ne travaille pas seul mais avec des étudiants, des doctorants, des collègues, des partenaires industriels… Cette distinction nous motive pour la suite et nous permet de diffuser et de faire rayonner nos recherches.

V.Y. : Je partage ce que Jérémy vient de dire et j’ajouterais que je suis très honoré de faire partie de cette liste de lauréats, des mécaniciennes et mécaniciens remarquables de France. Cela me motive pour être digne de ce prix dans le futur.

Un dernier mot pour conclure ?

J.B. : Nous partageons tous les deux un engagement pour que la science soit la plus accessible et la plus ouverte possible. Nous utilisons des logiciels open source, nous diffusons nos travaux auprès de nos collègues, avec un double objectif : améliorer la qualité des travaux produits et faire grandir la confiance dans la science. Au-delà, il nous semble important de faire évoluer les pratiques et de remettre en question le rôle dominant des grandes maisons d'édition dans la diffusion des connaissances scientifiques.

V.Y. : Contrairement aux domaines de la physique et des mathématiques où les chercheurs partagent librement les fruits de leurs recherches, la culture de partage en matière de mécanique est bien moins établie. Néanmoins, il y a des chercheurs, dont je fais partie, qui partagent les valeurs de la science ouverte. Par exemple, je suis membre du groupe de créateurs de la première épi-revue en mécanique basée sur des archives ouvertes JTCAM, gratuite pour les auteurs comme pour les lecteurs. Nous incitons les auteurs à publier les données, les codes, et nous publions les rapports de relecture de chaque article pour davantage de confiance et de transparence.

Le prix Jean Mandel

La carrière de Jean Mandel (1907-1982) a été consacrée à l’enseignement et à la recherche. Ingénieur des Mines, il a notamment été professeur à l’École polytechnique et à l’École des Mines de Paris, et a fondé le Laboratoire de Mécanique des Solides de l’X. Théoricien de la mécanique des solides, il se souciait également des applications. Il a apporté des contributions majeures et qui font toujours référence à la mécanique des roches et des sols, tout autant que des métaux, des polymères ou des composites : rhéologie, viscoélasticité, élasto-plasticité et viscoplasticité, rupture, modélisation et calcul des structures, homogénéisation des matériaux hétérogènes, dynamique, tribologie…

Le prix Jean Mandel est décerné tous les deux ans par le Centre des Matériaux de l'École des Mines de Paris et le Laboratoire de Mécanique des Solides de l'École Polytechnique à un(e) chercheur(se) ou une équipe de chercheurs de moins de 40 ans, auteurs d’un travail original, de caractère théorique ou expérimental dans ce domaine, du niveau d’habilitation à diriger des recherches, ou bien d’une application originale de résultats connus à l’Art de l’Ingénieur.

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