Antoine Compagnon (X70): L’Immortalité devant lui

D’un bicorne à l’autre, de la tangente polytechnicienne à l’épée d’académicien, du Grand Uniforme à l’habit vert. Antoine Compagnon (X70) a rejoint la cohorte des membres de l’Académie française et le carré des désormais 18 polytechniciens immortels.
11 mai. 2023
Institutionnel, L'AX, Portraits

Antoine Compagnon (X70) a fait son entrée à l’Académie française, un peu plus d’un an après son élection au premier tour le 17 février 2022, au fauteuil n°35, laissé vacant par l’ophtalmologue Yves Pouliquen, à qui il a rendu un vibrant hommage tout en évoquant avec humour et une pointe d’autodérision les prédécesseurs de son prédécesseur et ses premières rencontres avec la Dame du Quai Conti.

Docteur en littérature française en 1977, Antoine Compagnon enseigne à l’université de Rouen puis devient docteur d’État ès lettres en 1985. Il part alors pour l’université Columbia de New York où il sera professeur de littérature comparée jusqu’en 1991. A son retour en France, il enseigne à la Sorbonne, puis au Collège de France de 2005 à 2021, titulaire de la chaire « littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie ».

Essayiste, continuateur de la grande tradition intellectuelle française de la critique littéraire de Sainte-Beuve à Roland Barthes, dont il suivit les cours sans en faire un maître à penser, Antoine Compagnon est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont des récits - Le Deuil antérieur (1979), Ferragosto (1985), La Classe de rhéto (2012) et L’Âge des lettres (2015) - de très nombreux essais consacrés à son « trio crucial » Montaigne, Baudelaire et Proust, à la littérature bien sûr comme « Le Démon de la théorie, littérature et sens commun (1998), La Littérature, pour quoi fraire ? (2007) ou La Vie derrière soi, Fins de la littérature (2021) mais aussi des invitations à la lecture avec ses propositions estivales qui l’ont fait connaître et apprécier du grand public : D’un été avec Montaigne (2013), puis Baudelaire (2015), Pascal (2020) et dernièrement Colette (2022).

Parmi ses plus récentes publications, Antoine Compagnon consacre un article aux cousins polytechniciens de Proust dans la dernière livraison de La Jaune & La Rouge, la revue mensuelle de l’Association des Anciens de l’X, qui célèbre le centenaire de la mort de l’auteur de La Recherche avec un dossier intitulé « Proust et les Polytechniciens ».

« Un militaire en littérature »

Dans son discours de réception de l’impétrant, l’historien Pierre Nora a salué un « militaire en littérature » rappelant son éducation au prytanée de la Flèche, son passage à l’École polytechnique et un héritage familial marqué par trois générations d’officiers : un arrière-grand-père, polytechnicien, qui fit la guerre de 1870, un grand-père saint-cyrien qui fit la guerre de 14, un père enfin, saint-cyrien, qui combattit de 1939 à 1945 en France et en Afrique du Nord, puis en Indochine, puis en Algérie, et fut général.

Pierre Nora a souligné « la manière toute naturelle dont [Antoine Compagnon a] su déployer, dans [son] activité d’universitaire, d’essayiste, de critique, d’annotateur et d’éditeur de textes multiples, des qualités de type militaire. »

« Vous êtes un des plus gros travailleurs que j’aie jamais connu. Votre écriture nette, précise, fluide, rend immédiatement accessible la mobilisation d’une érudition phénoménale, imprévue dans son renouvellement et dans ses coins les plus fouillés, balayés comme un champ de bataille », a poursuivi son désormais confrère.

« Vos cours au Collège de France ont porté pour plus de la moitié sur ce que vous appelez « La guerre littéraire » et qui couvre au moins trois grands domaines : le lien entre la guerre et la grande littérature, de l’Iliade à Guerre et paix ; la guerre entre écrivains ; et les écrivains de la Première Guerre mondiale, qui firent l’objet en 2014 d’une belle anthologie », a rappelé Pierre Nora.

« Vos cours eux-mêmes sont des combats et l’Université votre patrie, que vous défendez avec un dévouement et un acharnement infatigables, dans toutes les institutions de soutien à l’enseignement et à la culture, comme le Haut Conseil de l’éducation et le Haut Conseil de la science et de la technologie. »

« Il y a même dans votre éloquence de conférencier, partout demandé, une redoutable efficacité qui est d’ordre militaire plus que littéraire. Pas d’effets de manche ni de morceaux de bravoure, mais une éloquence de rouleau compresseur, la voix égale, une éloquence de rase-campagne qui ne concède rien à l’ombre et couvre systématiquement le sujet. L’effet en est souverain. »

Antoine Compagnon rejoint sous la Coupole 17 polytechniciens qui l’y ont précédé de Prosper de Barante, le premier, en 1828, à Valéry Giscard d’Estaing, en 2003, l’ancien président de la République, décédé en 2020 et à qui il a été rendu hommage le 9 mai avec l’inauguration d’une voie à son nom, le long de la Seine, dans le prolongement du quai Conti et du quai Voltaire, autre académicien dont une épitaphe semble sans illusion sur la possibilité de défier le temps qui finit toujours par nous retrouver :

Ci gît Voltaire,

De l’Académie française,

Il a franchi le seuil,

Et n’a quitté son fauteuil,

Que pour le Père Lachaise.

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