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Caroline Cohen, pour les sciences et le sport

Vous travaillez dans un laboratoire de physique en particulier sur des thèmes en lien avec le sport. Pourquoi cette thématique ?
J’ai toujours pratiqué le sport, y compris lors de ma scolarité à l’ENS de Lyon. Je pratiquais le volley et on s’entraînait à faire des services flottants. Cette trajectoire en zig-zag du ballon, aléatoire, m’intriguait. Alors je me suis dit que j’allais me pencher dessus, et j’ai fait une thèse au LadHyX sur ce sujet, entre autres. J’aime le côté concret d'essayer d'expliquer des phénomènes avec des lois physiques. Pour cela, il faut observer, mesurer et se creuser la tête pour comprendre. La mécanique des fluides a aussi l’avantage d’être très visuelle. Pour la trajectoire du ballon, par exemple, il faut visualiser l’écoulement du fluide autour du ballon pour observer les structures tourbillonnaires. Ce sont des expériences fascinantes.
Comment est venue votre envie de faire des sciences au départ ?
J’ai aimé les sciences pour leur capacité à expliquer le monde qui nous entoure, mais je ne pense pas avoir eu de vocation. Jeune, je ne savais pas ce que c'était d'être chercheur, encore moins chercheuse. Un jour à l’école primaire, l’instituteur nous faisait un cours de mathématiques et a voulu expliquer la transitivité. Il a alors dit qu’il racontait cela plus pour les garçons que pour les filles et que, de toute façon, les filles n’y arrivaient plus en maths après la primaire, et qu’elles s’intéresseraient plus aux garçons. Ça m’a marqué. Personnellement, cela m’a peut-être motivée à prouver qu’il avait tort, mais il me semble qu’une des causes de la faible présence des femmes en sciences, ce sont ces stéréotypes sexistes qui se font toujours sentir, même s’il y a eu des progrès depuis.
Au LadHyX, vous avez eu l’occasion de collaborer avec le biathlète Martin Fourcade et son équipe.
Par le hasard des rencontres, Martin Fourcade et l’équipe de France de biathlon nous ont effectivement contacté pour que nous étudions le fartage des skis (nb : le fart est le produit appliqué sous le ski pour améliorer la glisse). Dans un container frigorifié devant le laboratoire, nous faisions des expériences de tractage de ski sur de la neige artificielle afin de mesurer différents paramètres comme les forces de friction. Je ne sais pas si cela a eu un impact sur ses victoires ensuite ! Cela aura au moins servi à rationaliser le savoir empirique des techniciens et les ressentis des skieurs, et avec les collègues, nous avons pu montrer certains effets intéressant d’un point de vue physique sur les propriétés du film d’eau qui se forme entre le ski et la neige à toute petite échelle.
Vous avez ensuite aidé les athlètes à préparer les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris (JOP). Comment avez-vous travaillé ?
Nous avons lancé le projet Sciences2024 dans le but de mettre la science fondamentale au service des athlètes pour optimiser leurs performances. Nous sommes allés voir les fédérations de sports olympiques et paralympiques pour leur demander s'ils avaient des besoins, des points sur lesquels on pourrait les aider. Au LadHyX, nous nous sommes surtout penchés sur le cyclisme, mais aussi l’aviron, le tir à l’arc, le tennis de table par exemple. Pour le cyclisme, nous allions au vélodrome au moins une fois par semaine pour discuter et faire des manips. C’est super stimulant quand on aime le sport ! Parmi les différents aspects que nous avons abordés, nous avons fait de l’optimisation des stratégies de course pour la poursuite par équipe en cyclisme sur piste avec Alice Boilet qui a fait sa thèse avec moi.
Y a-t-il une suite de prévue à ce projet en vue des JOP de Los Angeles en 2028 ?
Oui bien sûr 2028 et 2030 avec les jeux d’hiver ! Nous sommes tous motivés pour continuer, il faut absolument préserver les liens qui ont été tissés entre le milieu sportif et les sciences fondamentales car cela a été une réussite et que la compétition internationale avance très vite sur ces sujets. Mais pour cela, il faut que nous puissions avoir des financements, c’est toujours le plus compliqué pour la recherche.
Est-ce un milieu où il est facile pour les femmes de s’intégrer ?
Bizarrement, je pense que j’ai toujours aimé les milieux un peu masculins : faire des sciences, jouer au foot dans la cour d’école, travailler le bois et le métal … Peut-être pour ne pas me faire taxer de faire des trucs de filles. Aujourd’hui, je regrette un peu d’avoir eu ce sexisme intériorisé, mais c’était ma manière de lutter contre les injonctions de la société et les stéréotypes de genre. Au cours de mes études, je n’ai pas vraiment fait attention au fait qu’il y avait plus d’hommes que de femmes, ni aux comportements sexistes. Aujourd’hui, je le remarque davantage. Au Département de Mécanique, nous sommes assez peu de femmes enseignantes-chercheuses. Et comme dans notre métier, on a souvent le syndrome de l’imposteur, parfois on se demande ce qu’on fait là et on a la voix qui tremble quand il faut prendre la parole. Hommes comme femmes certes, mais comme on a beaucoup moins de modèles ou de représentations féminines, c’est encore plus dur de se sentir légitime et on a tendance à s’autocensurer. Cependant, il y a vraiment une prise de conscience et une volonté de faire changer les choses, et c'est vraiment très important d’aller vers la parité. Le jour où on ne le remarquera plus, où on ne se posera plus la question, ce sera là le succès.
*LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France