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Comprendre l’espace en laboratoire
Leurs dimensions et leurs distances rendent la plupart des phénomènes astrophysiques inaccessibles à l’expérimentation. Pour mieux les appréhender, les chercheurs ont recours à l’astrophysique de laboratoire, c’est-à-dire qu’ils reproduisent à petite échelle les conditions dans lesquelles se forment ou évoluent différents phénomènes.
Ce mois-ci, la prestigieuse revue scientifique Nature Communication a mis en lumière deux études du Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (LULI*), l’une consacrée à la forme des jets de plasmas astrophysiques, et l’autre aux propriétés de matériaux situés au cœur des exoplanètes.
Des jets de plasmas turbulents
Les jets astrophysiques sont des objets spectaculaires : il s'agit de cylindres de matière ionisée, des plasmas, extrêmement longs et émergeant de jeunes étoiles, de trous noirs et même de notre Soleil.
La plupart du temps, ces « flammes » ne sont pas continues comme le réchaud d’un gaz par exemple. Leur émission est saccadée et les plasmas présentent des courbures et des nœuds, « comme une chaîne de code morse ou comme l’échappement d’une vieille voiture diesel » explique Julien Fuchs, directeur de recherche CNRS au LULI.
Les spécialistes de ces objets supposaient que ces irrégularités provenaient de changement dans la structure du champ magnétique environnant, mais il n’existait jusqu’à présent aucun moyen de vérifier expérimentalement cette hypothèse.
Julien Fuchs travaille sur des techniques expérimentales pour reproduire ces jets de plasma en laboratoire depuis plusieurs années, et a ainsi été lauréat en 2018 d’une bourse ERC Advanced pour son projet GENESIS dédié à l’approfondissement de cette discipline.
« Il y a quelques années, nous avons mis au point une technique expérimentale permettant de recréer en laboratoire des jets de plasma d'un centimètre de long qui correspondaient étroitement aux caractéristiques des jets créés par les jeunes étoiles » explique le chercheur. En irradiant un morceau de plastique avec un laser haute puissance, le tout plongé dans un champ magnétique aligné parallèlement au faisceau laser, ils ont réussi à reproduire des jets à très haute vitesse dont la direction suivait le champ magnétique.
Leur dernière étude réalisée avec plusieurs collaborateurs européens et publiée dans Nature Communications s’est intéressée à l’influence de la direction du champ magnétique sur le plasma. « Nous avons introduit un angle entre le plasma créé par laser et le champ magnétique ambiant » explique Julien Fuchs. « Nous avons constaté qu'il y avait bien une perturbation dans la collimation du jet et du plasma s'échappant à travers les lignes de champ magnétique ».
Sachant que les champs magnétiques entourant les jets astrophysiques peuvent changer au cours de leur durée de vie, les observations d'irrégularités dans le jet ne seraient pas inhabituelles. Néanmoins, en couplant les observations expérimentales avec des simulations, les chercheurs ont montré qu'une explication possible à la structure du jet « en code morse » observée est qu'ils sont induits par la nature toujours changeante des champs magnétiques locaux.
Des champs magnétiques dans les super-Terres
La découverte de plus de 4000 planètes en dehors de notre système solaire soulève l’excitante promesse d’en découvrir certaines capables d’abriter la vie. Les chercheurs s’intéressent tout particulièrement aux planètes dont la masse est comprise entre une et quelques masses terrestres. Ces “super-Terres” sont supposées être rocheuses, avec un cœur de fer et de nickel, et un manteau (partie entourant le cœur) constitué de silicates.
L’existence d’un champ magnétique sur une planète est considérée comme l’une des conditions nécessaires à la présence de la vie. Protégeant l’astre des radiations cosmiques, il peut être généré à l’intérieur d’une planète lorsqu’elle possède un fluide conducteur animé de mouvements de convection. En tournant sur lui-même, ce fluide va produire un champ magnétique, comme c’est le cas pour notre planète : la partie liquide de son cœur de fer est animée de mouvement de convection.
Dans le cas des super-Terres le cœur de fer est probablement entièrement cristallisé à cause de la forte gravité (ces planètes sont plus massives que la nôtre), ce qui empêcherait l’existence d’un champ magnétique. Une alternative envisagée par les scientifiques pourrait être la génération du champ magnétique dans les manteaux constitués de silicates fondus et électriquement conducteurs.
Pour déterminer si cette possibilité est valable, il faut pouvoir mesurer la conductivité électrique de ces matériaux dans les conditions qui règnent au cœur des super-Terres, à savoir des températures de plusieurs milliers de degrés et des pressions de plusieurs millions de fois celle de notre atmosphère.
Une équipe de recherche du LULI, en collaboration avec le CEA, a cherché à étudier les propriétés des silicates en reproduisant expérimentalement ces conditions extrêmes. Ces travaux ont été publiés ce mois-ci dans Nature Communications et montrent que l’hypothèse d’un manteau conducteur semble viable.
« Reproduire expérimentalement ces conditions est très complexe » explique Alessandra Ravasio, chercheuse CNRS au LULI. « Nous avons comprimé des échantillons de quartz (SiO2) en générant deux ondes de choc successives à l’aide du laser LULI2000 du laboratoire » détaille la chercheuse. « Contrairement à la compression par un simple choc qui engendre des très hautes températures, la technique de double choc nous a permis de générer des hautes pressions, tout en gardant des températures relativement modérées, plus pertinentes aux intérieurs de super-Terres. ».
Ce schéma innovant de compression permet d’étudier les propriétés de la matière comprimés dans un vaste ensemble de conditions thermodynamique jusqu’à maintenant inexploré. Les chercheurs ont ainsi appliqué cette méthode de doubles chocs sur leurs échantillons de quartz, et, en couplant les données expérimentales à des simulations, ils ont pu estimer la conductivité électrique du SiO2.
Leur méthodologie leur a permis une nouvelle approche, sans recourir à des modèles couramment utilisés dont la validité dans ce contexte était mise en question. « Nos résultats indiquent pour SiO2 des conductivités électriques suffisamment élevés pour soutenir des champs magnétiques à l’intérieur des super-Terres » explique Alessandra Ravasio.
Cette confirmation permettra aux astrophysiciens d’améliorer leurs modèles et de mieux orienter l’étude d’exoplanètes potentiellement habitées ou habitables.
*LULI: une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, CEA, Sorbonne Université