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Dévier la foudre grâce au laser
Depuis l’invention du paratonnerre de Benjamin Franklin en 1752 - un mât conducteur métallique et pointu relié au sol – les systèmes de protection contre la foudre ont peu évolué. Le paratonnerre traditionnel demeure à ce jour la protection externe la plus efficace. Il protège une surface dont le rayon est environ égal à sa hauteur. Toutefois, ce système n’est pas optimal pour protéger des sites sensibles occupant un large territoire, tels qu’un aéroport, un parc éolien ou une centrale nucléaire.
Pour y remédier, un consortium européen a été lancé, coordonné par Aurélien Houard, chercheur au Laboratoire d’optique appliquée (LOA*), en partenariat avec l’Université de Genève (UNIGE), l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), TRUMPF Scientific Lasers, ArianeGroup, la société AMC, et la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud. Les scientifiques travaillent sur un système de paratonnerre laser baptisé « Laser Lightning Rod ». En générant des canaux d’air ionisé, celui-ci a permis de guider la foudre le long de son faisceau.
« Lorsque des impulsions laser de très haute puissance sont émises dans l’atmosphère, des filaments de lumière très intense se forment à l’intérieur du faisceau. Ces filaments ionisent les molécules de diazote et de dioxygène présentes dans l’air, qui libèrent alors des électrons libres de se déplacer. Cet air ionisé, appelé plasma, devient conducteur électrique », explique Jean-Pierre Wolf, professeur ordinaire au Département de physique appliquée de la Section de physique de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
Tests à 2500m d’altitude
Le projet a nécessité le développement d’un nouveau laser d’une puissance moyenne d’un kilowatt, d’un Joule par impulsion et d’une durée par impulsion d’une picoseconde. Il est large de 1,5 mètre, long de 8 et pèse plus de 3 tonnes. Il a été conçu par l’entreprise TRUMPF scientific lasers. Testé au sommet du Säntis en Suisse (2502m d’altitude) déjà instrumenté pour l’observation de la foudre, ce laser Térawatt a été focalisé au-dessus d’une tour-émettrice de 124 m munie d’un paratonnerre traditionnel. Il s’agit de l’une des structures les plus touchées par la foudre en Europe. « La principale difficulté était qu’il s’agissait d’une campagne grandeur nature. Il a fallu préparer un environnement dans lequel on pouvait installer et protéger le laser » précise Pierre Walch, qui a participé à la campagne et vient de soutenir sa thèse sur ce sujet au Laboratoire d’Optique Appliquée.
Le laser a alors été activé lors de chaque prévision d’activité orageuse, entre juin et septembre 2021. Au préalable, la zone a dû être interdite au trafic aérien. « L’objectif était d’observer s’il existait une différence avec ou sans le laser. Nous avons donc comparé les données récoltées lorsque le filament laser était produit au-dessus de la tour et lorsque cette dernière était frappée par la foudre de manière naturelle », explique Aurélien Houard.
Efficace même à travers les nuages
Il a fallu près d’une année pour analyser la quantité colossale de données récoltées. Cette analyse démontre aujourd’hui que ce laser est capable de guider la foudre efficacement. « Nous avons constaté, dès le premier événement de foudre avec laser, que la décharge pouvait suivre sur près de 60 mètres le faisceau avant d’atteindre la tour, faisant ainsi passer le rayon de la surface de protection de 120m à 180m », se réjouit Jean-Pierre Wolf.
Contrairement à d’autres lasers, celui développé pour ce projet fonctionne même dans des conditions météorologiques difficiles comme le brouillard, très présent au sommet du Säntis. Ce résultat n’avait été jusque-là observé qu’en laboratoire. Pour le consortium, la prochaine étape consistera à augmenter encore davantage la hauteur d’action du laser. L’objectif, à terme, est notamment de parvenir à prolonger de 500m un paratonnerre de 10m.
*LOA : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, ENSTA Paris - Institut Polytechnique de Paris