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Etudier la gravitation quantique avec le principe holographique
Représentation mathématique d'un disque hyperbolique correspondant à un espace anti-de Sitter en deux dimensions
L’accessit du prix Daniel Guinier de la Société française de physique (SFP) a été décerné à Charles Marteau, qui a effectué son doctorat au Centre de physique théorique (CPHT*) sous la direction de Marios Petropoulos. Ses travaux, menés notamment avec un autre doctorant du CPHT, Luca Ciambelli, se situent dans le cadre général des recherches autour de la gravitation quantique, un domaine où il n’existe pas de théorie achevée.
En effet, d’un côté, la gravitation « classique » est aujourd’hui décrite par la théorie de la relativité générale développée par Albert Einstein il y a plus d’un siècle. Dans cette théorie bien établie, l’espace-temps se déforme sous l’effet de la matière et de l’énergie, ce qui explique de nombreux phénomènes comme les mouvements des astres ou l’existence de trous noirs. De l’autre côté, la théorie quantique régit les lois microscopiques des particules qui composent notre univers (les photons, électrons, quarks, etc.) et forge le modèle standard de la physique des particules. Assembler ces deux volets de la réalité en une théorie cohérente reste toutefois hors de l’épure actuelle de la physique. Quelques approches de gravitation quantique existent, telle la gravitation quantique à boucles ou la théorie des cordes, mais aucune n’est satisfaisante – et encore moins confirmée expérimentalement. En réalité, il est difficile d’étudier ces théories en profondeur. « Par exemple, essayer de décrire un trou noir grâce avec la théorie des cordes est une tache extrêmement ardue » explique Charles Marteau.
Holographie
Dans sa thèse, il s’est intéressé au principe holographique, un autre angle d’attaque établi notamment par le physicien Juan Maldacena et développé abondamment au cours des dernières années. Pour le comprendre, il faut rappeler la notion de courbure d’un espace-temps. Les espace-temps abstraits étudiés en physique ont des dimensions élevées (plus de quatre) et peuvent avoir une courbure positive, nulle, ou négative. En particulier, les espace-temps à courbure négative, possèdent une sorte de bord et sont appelés espaces « anti-de Sitter ». Ce bord est lui-même un espace-temps tridimensionnel. Le principe holographique stipule que toute théorie de gravitation quantique dans un espace anti de Sitter est mathématiquement équivalente à une autre théorie définie uniquement sur le bord. On parle de théorie des champs conforme (CFT en anglais pour conformal field theory). « En d’autres termes, pour sonder la gravitation quantique, un objet hautement inconnu, on peut étudier à la place un objet un peu plus simple » résume Charles Marteau.
Il y a deux raisons pour lesquelles ce principe fascine. D’abord, cette théorie conforme un peu plus simple est localisée uniquement sur le bord de l’espace-temps, sans pourtant perdre d’information. C’est ce qui donne d’ailleurs son nom au principe holographique par analogie avec l’holographie optique dans laquelle une surface à deux dimensions convenablement éclairée projette l’image d’un objet en trois dimensions. « La deuxième raison est qu’on connaît bien cette CFT. Elle est assez semblable au Modèle Standard, autrement dit ses constituants élémentaires sont des particules de même nature que des photons ou des électrons, mais elle n’inclut pas la gravité comme ingrédient fondamental. Savoir que, cachée dans cette théorie, se trouve la gravitation et des trous noirs, c’est presque incroyable. »
Attention toutefois : les espaces-temps anti-de Sitter ne correspondent pas à notre Univers, dont la courbure est légèrement positive et très proche de zéro selon les observations. L’holographie n’est pas la réalité : elle offre un outil aux physiciens, une sorte de laboratoire virtuel dans lequel ils peuvent réaliser des expériences de pensée en manipulant par exemple des trous noirs quantiques, pour essayer d’en dévoiler la nature profonde. Si les trous noirs « classiques » existent déjà dans la théorie de la relativité générale, beaucoup de scientifiques pensent qu’ils ne sont pas le fin mot de l’histoire. Une description quantique des trous noirs permettrait notamment de résoudre le paradoxe de l'information.
Fluides carrolliens
Grâce au principe holographique, les scientifiques cherchent l’équivalent d’un trou noir quantique dans la théorie conforme du bord. « Il s’agit d’un objet plus simple, une sorte de corps chaud composé de particules à une certaine température, appelée température de Hawking » précise Charles Marteau. Le problème reste cependant complexe. C’est pourquoi on étudie des cas limites qui permettent de simplifier encore le problème. A basse énergie on peut ainsi analyser comment un trou noir réagit à une perturbation, lorsqu’on lui apporte de l’énergie par exemple. « Dans la théorie conforme du bord, on constate que la dynamique de cette perturbation est la même que celle d’un fluide, ce qui simplifie les équations ». Les travaux de Charles Marteau récompensés par la SFP s’articulent en profondeur sur cette correspondance fluide/gravité.
Les travaux de Charles Marteau font également le lien avec un cas limite, atteint lorsque la courbure de l’espace anti-de Sitter tend vers zéro, afin de se rapprocher de l’Univers tel qu’il est observé. Ils montrent que, dans le cas où l’espace-temps est quasiment plat, on peut néanmoins définir un bord sur lequel la théorie conforme et les outils de l’holographie continuent d’être opérationnels. Ce faisant, ces travaux soulignent également qu’à cette limite, la vitesse de la lumière dans la théorie conforme du bord devient nulle. On parle de limite « Carrollienne » en référence à Lewis Carroll, car dans un tel monde, il serait difficile de distinguer la cause des effets, comme dans certains passages du roman Alice au pays des merveilles. Charles Marteau poursuit aujourd’hui ses recherches en post-doctorat à l’Université de Colombie Britannique à Vancouver.
>La descritpion des accessits sur le site de la SFP
*CPHT : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique – Institut Polytechnique de Paris