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Interview de Patrick Huerre, spécialiste des instabilités hydrodynamiques

Patrick Huerre est directeur de recherche émérite au CNRS et il a été professeur à l'École polytechnique où il a cofondé avec Jean-Marc Chomaz le Laboratoire d’hydrodynamique. Il vient de recevoir le prix de mécanique des fluides de la Société européenne de mécanique, qui récompense l’ensemble de sa carrière consacrée en particulier aux instabilités hydrodynamiques.
17 mai. 2022
Recherche, Prix et Distinctions, Modélisation, Sciences fondamentales, LadHyX, Mécanique

En quoi consiste le domaine des instabilités hydrodynamiques ?

La mécanique des fluides s’intéresse aux écoulements. Certains sont plutôt calmes ou ordonnés, « laminaires » comme disent les physiciens. Pensez par exemple au miel qui s’écoule d’une cuillère. D’autres sont turbulents, désordonnés, aléatoires, comme peut l’être celui d’un torrent de montagne. Un même écoulement peut être laminaire dans certaines conditions et turbulent dans d’autres, quand la vitesse ou le débit augmente par exemple. Comment s’effectue cette transition ? Peut-on prédire le seuil où elle se produit ? Ce sont des questions très importantes en mécanique des fluides.

Pour y répondre, on regarde comment de petites perturbations de l’écoulement évoluent. Est-ce que ces perturbations s’accroissent ou, au contraire, décroissent ? Une analogie simple est celle que l’on constate avec un pendule rigide -une baguette de bois- que l’on tient par une extrémité. Si on tient le pendule verticalement par la base, l’autre extrémité étant dirigée vers le haut, une pichenette -ou perturbation- appliquée en haut fait perdre définitivement au pendule sa position d’équilibre, qui est donc instable : les perturbations s’accroissent. Au contraire, si on tient le pendule par le haut, l’autre extrémité libre étant dirigée vers le bas, une pichenette appliquée sur le bas le fait osciller, mais les perturbations décroissent et le pendule retrouve sa position d’équilibre stable. Le domaine des instabilités hydrodynamiques étudie des phénomènes analogues dans les fluides. La turbulence et la transition laminaire–turbulent sont présentes dans de nombreuses applications : en aéronautique, en climatologie, en biologie…

Néanmoins, vous vous décrivez avant tout comme un théoricien.

Effectivement, je dois dire que ma carrière n’a pas été guidée par les applications, même si j’estime tout à fait légitime et nécessaire que des collègues mettent l’accent sur cet aspect. Le ressort de mes recherches consiste à prendre un phénomène observé lors d’expériences, réalisées en laboratoire ou par simulation numérique, et à essayer de le décortiquer théoriquement. Pouvoir dire « ça marche, voilà l’essence du phénomène » constitue pour moi le plaisir du chercheur. Je développe donc avec mes collègues des modèles mathématiques, avec un stylo et du papier par le passé et désormais avec un ordinateur, afin de comprendre telle ou telle instabilité.

Pour donner un exemple de travaux effectués avec mon équipe, nous avons été parmi les premiers à distinguer entre les écoulements dits « oscillateurs » et les écoulements dits « amplificateurs ». Imaginez un écoulement comme celui d’un fleuve qui contourne la pile d’un pont. Si on augmente la vitesse du courant en amont du pont, on constate qu’au-delà d’un certain seuil, il se forme, en aval de la pile, une allée de tourbillons appelée « allée de Von Karman ». Cette instabilité subsiste même si on ne perturbe pas le courant : on parle d’écoulement oscillateur.

En-dessous de ce seuil de vitesse, la présence d’une perturbation du courant peut quand même susciter une allée de tourbillons en aval de la pile, mais celle-ci disparaît si la perturbation cesse. On parle d’écoulement amplificateur. Ces comportements ont appelé le développement d’outils théoriques spécifiques et nous avons utilisé les concepts d’écoulement « convectivement instable » et d’écoulement « absolument instable » qui se sont révélés fructueux pour distinguer ces phénomènes. Cela a été le point de départ d’une série de travaux, et d’un programme de recherche mené avec des écoulements divers. Aujourd’hui encore, je poursuis dans cette direction, notamment dans le cas des panaches de fumée.

La société européenne de mécanique, Euromech, vous a également décerné ce prix pour vos « contributions majeures à la communauté européenne de mécanique ». A l’échelle de l’X, vous avez cofondé le laboratoire d’hydrodynmique (*LadHyX) à votre arrivée à l’École en 1990. Cette dimension de communauté est-elle importante à vos yeux ?

La recherche est en effet un travail collectif, mais aussi international, un mot qui caractérise bien ma carrière. D’une part parce que j’ai effectué un tiers de mon activité à l’étranger, entre un doctorat à l’université de Stanford, un post-doctorat en Angleterre, puis un poste de professeur au département de génie aéronautique de l’université de Californie du Sud. A l’échelle européenne, j’ai été pendant 10 ans président d’Euromech où j’ai encouragé la tenue de conférences régulières pour inscrire la communauté dans un contexte international, dépassant les cadres nationaux.

Quant à la fondation du LadHyX avec Jean-Marc Chomaz, ça a été une aventure passionnante, même s’il n’a pas été facile de se familiariser avec le fonctionnement de l’enseignement supérieur français en venant des États-Unis ! Nous avons bien sûr développé des collaborations à l’étranger qui se poursuivent. Enfin j’ai aussi assuré l’enseignement de mécanique aux élèves du cycle ingénieur polytechnicien pendant de nombreuses années. Je suis d’ailleurs très heureux de l’internationalisation de l’École. J’entends beaucoup parler anglais maintenant lorsque je déjeune au Magnan !

 

*LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

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