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La crise sanitaire, une mobilisation forte et un accélérateur de transformation – Éric Labaye
L’École polytechnique a repris ses activités sur site depuis le 12 mai, comment se déroule le déconfinement et la préparation de la rentrée 2020 ?
Éric Labaye - La réouverture du campus est effective depuis le 12 mai. Elle s’effectue très progressivement dans le strict respect de la priorité donnée à la santé et à la sécurité de tous – élèves et étudiants, enseignants-chercheurs et personnel – qui avait conduit à la fermeture de l’École, le 16 mars, dans le cadre de la phase de confinement décidée par les autorités. Néanmoins les étudiants ne vont pas revenir d’ici fin août, le redémarrage de la recherche est principalement pour la partie expérimentale et le télétravail est toujours privilégié pour les fonctions administratives ; globalement nous avons moins de 20% des personnels sur le site. L’ensemble des services de l’École se sont mobilisés pour assurer la réouverture du site, en particulier dans la perspective de l’organisation du concours d’accès au cycle ingénieur et de recrutement de l’ensemble des filières de formation.
Parallèlement, nous préparons activement la rentrée 2020 même si des incertitudes demeurent aussi bien sur la situation sanitaire qui prévaudra fin août / début septembre, date à laquelle le retour des étudiants sur le campus est prévu. Des incertitudes demeurent concernant la possibilité d’accueillir les étudiants internationaux qui représentent 40% des effectifs de l’École. Nous sommes également en discussion avec nos établissements partenaires dans le monde entier afin de trouver des solutions concernant les mobilités et échanges internationaux des étudiants actuellement à l’Ecole. Les regroupements seront probablement également limités à la rentrée, aussi nous travaillons des scénarios de fonctionnement hybride mêlant enseignement à distance et présentiel lorsque c’est possible. La période de confinement a montré notre capacité à déployer rapidement et à grande échelle de nouveaux modes de fonctionnement intégralement digitaux.
Comment s’est déroulée cette bascule digitale de l’École et quels enseignements en tirez-vous ?
Pendant les huit semaines de confinement, nos bâtiments étaient naturellement fermés. Le premier principe a été d’engager rapidement une bascule opérationnelle en numérique et d’assurer la continuité de nos missions de formation, de recherche et d’innovation. Nous avons réussi ce pari, en réalisant le pivot en une semaine, grâce à la mobilisation et l’engagement de tous, que je tiens à saluer.
Cette performance n’aurait pas été possible si la digitalisation de l’X n’avait pas été déjà engagée. La crise sanitaire a de ce point de vue été un accélérateur de transformation et il faudra dans les semaines et les mois qui viennent à la fois conserver l’esprit d’innovation, d’agilité et de transversalité qui s’est déployé collectivement et prendre le temps de tirer les enseignements des nouvelles formes d’organisation que nous avons su mettre en place et des nouveaux modes d’interactions que nous avons su inventer. Un point me semble néanmoins acquis : un campus « tout digital » n’est pas une aspiration, le point d’équilibre à trouver afin de maintenir un fort contact humain est fondamental.
Au sein de notre communauté, cette bascule digitale a amplifié les transformations à l’œuvre aussi bien dans les formats de formations que nous délivrons et dans l’organisation de nos institutions, mais aussi par rapport aux connaissances que nous diffusons et aux besoins auxquels nous répondons dans un monde gravement affecté par la crise. Forte de son excellence scientifique, l’X dispose d’atouts formidables pour apporter des solutions à cette crise sanitaire, notre rôle est aussi de former les prochaines générations à faire face à ces situations qui se répéteront.
Parallèlement à cette mobilisation interne, l’École s’est aussi pleinement engagée dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 et au service de l’intérêt général…
Cet engagement de l’École dans la lutte contre la pandémie et le service de l’intérêt général est particulièrement inspirant pour l’ensemble de notre communauté. Il est impossible de mentionner l’intégralité des initiatives lancées mais je citerai quelques exemples. L’engagement de nos étudiants en premier lieu, qui se sont mobilisés massivement. Dans le cadre de l’opération Résilience, 130 élèves-officiers ont rejoint ou prolongé leur stage dans des unités opérationnelles chez les sapeurs-pompiers de Paris, en Gendarmerie ou au sein de la Croix-Rouge. Une cinquantaine s’est aussi mobilisée auprès des services de réanimation d'une vingtaine d'hôpitaux en Ile-de-France afin de les aider à agréger une base de données de patients Covid-19 au niveau national. Plus de 400 élèves polytechniciens et étudiants Bachelor sont engagés en tutorat, accompagnant ainsi des lycéens sur l’ensemble du territoire national et des dizaines d’enfants de militaires mobilisés (au total ce seront près de 68 000 heures de tutorat de mars à fin juin).
Du côté des enseignants-chercheurs, plus d’une vingtaine d’initiatives ont abouti ou sont en cours pour aider et soutenir la lutte contre le Covid-19 qui est amenée à durer. Le Centre de mathématiques appliquées ( CMAP) a notamment lancé des travaux de modélisation et d’évaluation des scénarios de contrôle de l’épidémie ainsi que participé à la conception d’un outil destiné à optimiser l’occupation des lits de réanimation. Le Centre de Recherche en Economie et Statistique (CREST) a contribué à la définition de la meilleure stratégie de dépistage. Le Laboratoire d'Optique et Biosciences (LOB) étudie l'utilisation de nanoparticules dopées de terres rares pour une détection ultrasensible du COVID19. L'Institut interdisciplinaire de l'innovation (i3) participe également à la conception d’application d’alerte des citoyens compatible RGPD.
L’Executive Education a aussi mobilisé les professeurs et les chercheurs de l’Ecole pour offrir à notre communauté et plus largement encore les perspectives de nos meilleurs experts sur l’analyse de cette crise et de ces conséquences sous forme de webinaires réguliers.
Au sein du Drahi X-Novation Center, une production de matériels de protection contre le Covid-19 a aussi été lancée depuis début avril et se poursuit grâce au travail conjoint des membres des équipes volontaires du FabLab de l’X et de celle de Valéo.
Enfin les anciens aussi se sont également mobilisés pour proposer rapidement des stages à nos élèves qui ne pouvaient partir à l’étranger, soutenir les étudiants en difficulté financière ainsi que pour fournir des masques et équipement médicaux aux hôpitaux dès le début de la pandémie et maintenant aussi à l’École.
J’ai partagé fin avril avec l’ensemble des administrateurs de l’École ces engagements collectifs et individuels et le Conseil d’administration les a salués et leur a apporté son soutien et ses encouragements.
Ces engagements entrent en parfaite résonnance avec les principes d‘engagement au service du bien commun et le sens de l’intérêt général que l’École porte et promeut dans les périodes de prospérité comme dans les crises les plus difficiles, et ce depuis sa création il y a plus de 225 ans.
Le choc de la crise a été brutal. Quel peut être l’apport de l’École polytechnique pour affronter l’environnement nouveau dont cette crise a peut-être contribué à faire pleinement prendre conscience à tous ?
Cette crise sanitaire a été à la fois soudaine et brutale. Elle a surtout stoppé net la mobilité des personnes mondialement et les mesures de confinement nécessaires pour sauver des vies humaines ont entrainé une mise à l’arrêt de pans entiers de l’économie.
La traversée collective de cette crise inédite a été remarquable grâce bien sûr à la discipline et au sens des responsabilités dont chaque citoyen a su faire preuve dans l’ensemble. Elle a aussi été permise par une mobilisation sans précédent du soutien de l’État, sanitaire, économique et social, justifiée par l’urgence, de l’engagement des collectivités locales et des acteurs économiques. Elle a aussi démontré l’importance de mettre les responsabilités opérationnelles au plus près du terrain, afin de gagner en agilité, valeur critique en période de crise pour répondre aux défis journaliers.
Les dernières semaines ont aussi mis en exergue l’importance de la résilience comme un sujet stratégique pour les gouvernements, les institutions d’éducation et les entreprises. Elle inclut la capacité à manager sous incertitude et de préparer une organisation ou un pays aux événements les plus difficiles ou improbables. Les questions de souveraineté et de compétitivité devront être adressées pour la recherche et la politique industrielle, au niveau français et européen et l’X, de par son ADN et sa recherche, contribuera à ces avancées.
La pandémie Covid-19 a souligné le rôle primordial de la recherche scientifique pour assurer une maîtrise des risques, y compris naturels, que nous tenions pour acquise. Elle a aussi montré l’importance d’une solide formation scientifique pour les dirigeants, experts et managers du public comme du privé. Au-delà de cette crise sanitaire, nous sommes confrontés à de très nombreux défis qu’ils soient sécuritaires, climatiques ou économiques auxquels les avancées scientifiques continueront d’apporter des réponses.
Le rebond d’une économie qui a perdu environ 10% de PIB cette année va appeler des investissements massifs, et l’éducation, la formation et la recherche devront y tenir toute leur place. Former les nouvelles générations au nouveau contexte, apporter des compétences aux personnes qui devront changer d’emploi ou approfondir la recherche pour une santé et un environnement meilleurs feront partie des actions que l’Ecole va renforcer.
Enfin le basculement digital a changé les mentalités sur les possibilités de la technologie dans certains environnements de travail, dont l’enseignement supérieur. Il a aussi montré l’importance d’adapter les modes d’organisation et de faire vivre le contact humain auquel nous sommes très attachés et attentifs. A l’École de continuer à façonner le futur en réinventant l’expérience étudiant pour un meilleur impact, mixant surement liens digitaux, travail d’équipe et interaction forte avec les professeurs. Et de façon similaire l’expérience des enseignants- chercheurs et personnels.
Autant d’impératifs, au cœur des missions de l’X, que nous allons mettre en œuvre dès maintenant, travaillant d’ailleurs sur ces sujets avec nos partenaires de l’Institut Polytechnique de Paris lancé en 2019.
Plus précisément en quoi le projet de l’Institut Polytechnique de Paris (IP Paris), qui va fêter prochainement son premier anniversaire, peut contribuer à répondre à ces nouveaux défis ?
L’Institut Polytechnique de Paris dont la mise en œuvre se poursuit à un rythme soutenu rassemble les forces de l’École polytechnique, de l’ENSTA Paris, de l’ENSAE Paris, de Telecom Paris et de Telecom SudParis. Son objectif est de se positionner parmi les meilleures institutions de sciences et technologies au niveau mondial, à même d’attirer les meilleurs étudiants, les enseignants-chercheurs les plus reconnus et de développer un écosystème d’innovation vibrant.
Le développement d’IP Paris se concrétise en particulier par la mise en place de centres de recherche interdisciplinaires qui visent à répondre aux grands enjeux contemporains, en atteignant aussi une taille critique à même de leur donner un impact mondial et une visibilité internationale. Un premier centre interdisciplinaire a été créé en 2019 ; Energy 4 Climate autour des enjeux du climat et des énergies décarbonées. Un second est en cours de lancement en partenariat avec HEC sur l’Intelligence artificielle et l’analyse de données, un troisième dans le domaine de l'ingénierie bio-médicale, domaine d’ailleurs renforcé par la crise actuelle et nous travaillons aussi au développement d’un centre d’études pour la défense et la sécurité.
Ils s’inscrivent dans un écosystème de la recherche internationale certes compétitif mais aussi ouvert et collaboratif et la crise sanitaire a montré l’importance du partage et de la circulation à l’échelle mondiale des découvertes et des innovations scientifiques. Ils s’appuient aussi sur un partenariat public-privé dans lequel l’École polytechnique et IP Paris sont résolument inscrits.
S’il est encore difficile de prendre la mesure de l’impact économique de la crise sanitaire en cours, la période que nous traversons est difficile pour tous. Le soutien de nos entreprises partenaires et de l’ensemble de notre communauté sera déterminant pour réaliser nos ambitions au service de l’intérêt général.
Pour conclure, en quoi les valeurs de l’École vous semblent pouvoir inspirer sa communauté et la Nation, en particulier au regard de ce qui vient de se passer à l’échelle mondiale ?
La crise sanitaire a montré toute la pertinence des valeurs fondatrices de l’X : excellence et pluridisciplinarité des enseignements et de la recherche ; prise de responsabilité et leadership, sens de l’intérêt général, discipline, esprit d’équipe et attention aux autres. Je suis fier et reconnaissant que toute la communauté de l’École ait porté haut ces valeurs au cours de cette période éprouvante pour tous. La crise n’est sans doute pas terminée et nous devons poursuivre cet élan sur la durée, collectivement.