La lumière polarisée, un nouvel outil de diagnostic biomédical

26 nov. 2021
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L’essor des techniques d’imagerie médicale au cours du XXe siècle, a considérablement amélioré le diagnostic, le traitement et la prise en charge des patients. De nouvelles techniques continuent d’apparaître et de se perfectionner, comme l’imagerie polarimétrique de Mueller. Celle-ci exploite la polarisation de la lumière, une propriété qui s'avère très pertinente pour déterminer l'état sain ou pathologique des tissus biologiques.

La lumière est constituée d’un champ électrique et d’un champ magnétique qui oscillent dans le temps en étant fortement interconnectés. La polarisation correspond alors à la trajectoire du champ électrique. En général, l’état de polarisation de la lumière se modifie après son interaction avec un matériau, notamment un tissu biologique.  En caractérisant ce changement, il est possible de déterminer les propriétés polarimétriques du tissu étudié et d'obtenir ainsi des informations sur sa microstructure.  

« Les principales propriétés polarimétriques qui caractérisent les tissus biologiques sont la biréfringence linéaire et la dépolarisation. La première est liée à la présence de structures ordonnées telles que des fibres de collagène et d'élastine ou des fibres musculaires. La seconde caractérise la capacité d’un tissu à diffuser la lumière en raison de la présence de structures comme des organites cellulaires ou des fibres désorganisées de la matrice extracellulaire », détaille Angelo Pierangelo, chercheur responsable de l’activité sur l'imagerie polarimétrique biomédicale au Laboratoire de physique des interfaces et des couches minces (LPICM*). Ce chercheur dirige le travail au sein d’une large collaboration multidisciplinaire qui a l’objectif principal d’explorer les promesses de cette méthode dans l’analyse in vivo de la microstructure du col utérin pour améliorer la détection du cancer ou, lors des grossesses, pour prévenir les risques de prématurité.

Cette analyse in vivo est aujourd’hui impossible avec les techniques conventionnelles fondées sur des mesures d'intensité lumineuse. Angelo Pierangelo et son équipe ont donc développé un colposcope polarimétrique de Mueller qui a été réalisé en modifiant un colposcope conventionnel, c’est à dire un microscope binoculaire à faible grossissement déjà utilisé en médecine pour analyser la surface du col utérin. Ce nouveau colposcope émet de la lumière avec des états de polarisation bien définis en direction des tissus et analyse la lumière rétrodiffusée par ces derniers. La « matrice de Mueller » est ainsi reconstruite. Elle contient toutes les propriétés de polarisation d’un tissu biologique. « Notre colposcope permet d'acquérir des images in vivo à plusieurs longueurs d'onde du bleu jusqu’au proche infrarouge et donc d’explorer le tissu à différentes profondeurs en une seconde, avec un champ de vue macroscopique et une résolution spatiale d'environ 50 micromètres par pixel » résume le chercheur. « De plus, l’examen n’implique pas de danger pour les patientes tout en étant très simple pour le médecin car il ne modifie pas la pratique médicale établie ».

L’intérêt de cette technique a déjà été démontré pour la détection préventive du cancer du col de l’utérus qui reste l’un des cancers les plus fréquents chez les femmes dans le monde à cause de son incidence dans les pays à faibles ressources qui manquent de techniques de dépistage efficaces et peu chères.  Une large étude ex vivo a été mené au LPICM dans le cadre du projet « PAIR Gynéco » financé par l’Institut national du cancer. Sa conclusion indique que l’imagerie polarimétrique est prometteuse pour détecter la présence de lésions précancéreuses. Le potentiel de la technique in vivo a été aussi démontré et fait l’objet d’une publication scientifique, ce qui a représenté une première mondiale. Une étude clinique est en cours de préparation.

Une autre application possible de ce colposcope amélioré a émergé lors des discussions entre les chercheurs et les gynécologues. Ils ont en effet remarqué que la polarimétrie du col utérin dépendait beaucoup du collagène, une protéine qui apporte des propriétés mécaniques aux tissus. Or, un remodelage prématuré du collagène du col utérin est supposé être la principale origine de l'accouchement prématuré, qui constitue la première cause de mortalité et de morbidité périnatales dans le monde. La technique de référence pour le diagnostic et l’évaluation du risque d’accouchement prématuré est actuellement l’échographie transvaginale qui permet de mesurer la longueur du col utérin. « Mais il s’agit d’une technique très qualitative qui ne permet pas un diagnostic fiable » précise Angelo Pierangelo. Il y a des marges d’amélioration pour éviter des hospitalisations préventives non-nécessaires qui peuvent conduire à des complications chez la femme enceinte.

Un brevet a donc été déposé portant sur la méthode de suivi de grossesse grâce au colposcope. De plus, la première étude clinique effectuée in vivo avec cette technique a été lancée fin 2020 pour une durée de 36 mois sur 650 patientes au CHU du Kremlin Bicêtre. Financée par l’ANR, cette étude va vérifier les promesses de cette technique.

Outre les partenariats avec le monde médical, le projet regroupe aussi des scientifiques du Centre de mathématiques appliquées (CMAP*) ainsi que du laboratoire ICube de Strasbourg, spécialisé notamment dans le traitement de données et les algorithmes d’apprentissage.

Ces collaborations sont cruciales pour maximiser les performances de cette technique, voire effectuer des diagnostics automatisés. Enfin, compte-tenu de sa polyvalence, l’imagerie polarimétrique de Mueller est en train d’être approfondie au LPICM pour d’autres applications comme l’urologie, la neurochirurgie et la cosmétologie, ou encore afin de développer de nouveaux endoscopes pour l’exploration des organes internes.

 

*LPICM : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique – Institut Polytechnique de Paris

CMAP : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique – Institut Polytechnique de Paris

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