La seconde révolution quantique dans les laboratoires de l’X

L’année 2025 a été proclamée Année internationale des sciences et technologies quantiques par les Nations Unies. Au XXe siècle, la mécanique quantique a radicalement changé la façon de penser le monde physique. En plein renouveau, la physique quantique permet aujourd'hui d’entrevoir de nouvelles applications inattendues. Tour d’horizon de cette « seconde révolution quantique » avec Laurent Sanchez-Palencia, directeur de recherche au Centre de physique théorique (CPHT*) et directeur adjoint du centre Quantum-Saclay.
L'intérieur d'un cryostat permettant d'étudier les circuits quantiques hybrides à l'École polytechnique
28 avr. 2025
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Lannée 2025 marque le centenaire de la structuration de la mécanique quantique (ou physique quantique), comme une des théories fondamentales de la physique. Celle-ci a permis de comprendre le comportement de la matière et la lumière à l’échelle microscopique et de surmonter les impasses de la physique dite « classique » ; dès ses débuts, la mécanique quantique a ainsi fourni une description satisfaisante du comportement soit corpusculaire, soit ondulatoire des particules élémentaires de la matière et de la lumière (les « photons »). 

En plus de nouvelles équations servant à représenter le comportement des systèmes, la physique quantique a introduit des notions révolutionnaires par rapport à la physique classique. Dabord, celle de superposition quantique. Quand on observe l’état dun système classique, par exemple la position dun téléphone, on trouve un résultat bien déterminé : le téléphone se trouve à un endroit et pas à un autre. « Mais la situation change radicalement en physique quantique, explique Laurent Sanchez-Palencia, directeur de recherche CNRS au CPHT. En effet, contrairement à ce à quoi nous a habitué la physique classique, l'état d'un système doit être dissocié de ce que l'on peut en mesurer : un objet peut se trouver dans une superposition de deux états (ou plus), comme sil était à deux endroit différents par exemple. Mais, si on mesure sa position, on trouve une seule de ces possibilités, de manière parfaitement aléatoirement. Ce qui est le plus remarquable, cest que lon sait que ce nest pas une méconnaissance de la « vraie position », cet aléatoire est une propriété fondamentale de la physique quantique.»

De la première à la seconde révolution quantique

On le sait peu, mais cette nouvelle physique a permis non seulement le progrès des connaissances fondamentales, mais aussi des applications quon utilise fréquemment. Tous les systèmes électroniques (smartphones, ordinateurs, etc.) sont basés sur les matériaux semiconducteurs dans lesquels les électrons ont un comportement quantique. On peut aussi citer les lasers, limagerie médicale IRM, ou encore les cellules solaires photovoltaïques (qui fonctionnent par effet photoélectrique, dont linterprétation a valu le prix Nobel à Albert Einstein). Ce fut la une première révolution quantique.

Un autre concept quantique joue un rôle crucial dans les recherches actuelles : l’intrication, dont les chercheurs travaillent toujours à percer les mystères. Les expériences d’Alain Aspect, professeur à l’Ecole polytechnique et prix Nobel de physique 2022, ont notamment contribué à la confirmation expérimentale de ce phénomène contre-intuitif. Imaginez avoir deux « balles » quantiques intriquées, chacune pouvant être rouge ou bleue. L’intrication permet par exemple que les couleurs des deux balles soient nécessairement distinctes bien que la couleur de chacune soit parfaitement indéterminée. Si vous observez une balle, elle peut être rouge ou bleue aléatoirement (un état superposé, comme décrit plus haut). L’intrication implique que si l'une apparait bleue lorsqu’elle est observée, alors l'autre n’a plus le choix : elle apparait nécessairement rouge et vice versa. Avec l’intrication, la détermination de la couleur de la seconde balle du fait de l’observation de la première est instantanée, et ce quelle que soit la distance qui les sépare. « Ces corrélations à distance sont hautement non-classiques, et peuvent servir à réaliser de nouvelles tâches, à la base de ce que l’on appelle aujourd’hui la seconde révolution quantique » souligne Laurent Sanchez-Palencia.

Depuis quelques dizaines d’années, les chercheuses et les chercheurs ont appris à contrôler de mieux en mieux des systèmes quantiques individuels (atomes, photons, circuits supraconducteurs etc.), en maintenant plus longtemps les propriétés de superposition et d’intrication, qui ont tendance à disparaître très vite, et ce d’autant plus rapidement que le nombre d’objets en jeu est grand. On appelle cet effet la décohérence quantique, qui détermine le passage d’un comportement quantique au comportement classique. Ces avancées ont permis le développement des recherches dans plusieurs directions :

  • Les communications : les propriétés quantiques peuvent garantir la sécurité des communications, en détectant les tentatives d’espionnage, et pourraient ouvrir la voie à un « internet quantique ».

  • La métrologie : c’est-à-dire les mesures de grandes précisions. La sensibilité des superpositions quantiques et de l’intrication aux perturbations est utilisée pour faire des capteurs performants.

  • Le calcul quantique : utiliser les propriétés quantiques des systèmes pour réaliser des algorithmes sans équivalent classique. Le défi est double : trouver les bons systèmes physiques pour réaliser un ordinateur quantique performant et découvrir des algorithmes qui résoudraient efficacement des problèmes utiles.

  • La simulation quantique : recréer avec des objets quantiques très bien contrôlés le comportement de matériaux ou systèmes complexes qu’il est difficile voire impossible de simuler classiquement. Cette voie est déjà un outil performant de la recherche fondamentale pourrait ouvrir la voie à la résolution de nombreux problèmes industriels d’optimisation.
  • Les matériaux quantiques : il s’agit d’étudier et apprendre à contrôler les propriétés de certains matériaux dont la compréhension nous échappe encore. C’est par exemple le cas des supraconducteurs dits « à haute température critique », capable de conduire l’électricité sans perte en-dessous d’une certaine température, ou des circuits supraconducteurs hybrides.

     

L’écosystème de recherche à l’École polytechnique 

Si les perspectives présentes et futures des technologies quantiques sont éminemment  prometteuses, les recherches fondamentales sont cruciales pour qu’elles se réalisent pleinement. Dans cette optique, l’École polytechnique est activement impliquée dans le plan quantique français lancé début 2021. Plusieurs équipes des laboratoires de l’X travaillent activement sur ces sujets, à l’interface de la physique et de l’informatique, au Laboratoire des solides irradiés (LSI), au laboratoire de Physique de la matière condensée (PMC), au Laboratoire d’optique appliquée, au Centre de physique théorique et au Laboratoire d’informatique de l’École polytechnique (LIX).

Avec l’Institut Polytechnique de Paris et en lien avec l’Université Paris-Saclay, ces recherches s’inscrivent dans le cadre de Quantum Saclay, le centre qui fédère les actions de recherche, de formation et d’innovation quantiques sur le plateau de Saclay. La journée scientifique annuelle Quantum Saclay s’est ainsi déroulée à l’École polytechnique le 20 janvier 2025 ; elle a réuni une centaine de participants, chercheurs, étudiants et acteurs industriels, qui ont pu échanger sur les derniers développements et les enjeux à venir.

En aval de ces recherches fondamentales, une jeune génération de scientifiques et entrepreneurs émerge de cet écosystème. Parmi les entreprises du quantique, plusieurs ont été co-fondées ou sont co-dirigées par des diplômés de l’X, en particulier Quandela, Pasqal, Alice&Bob, C12 Quantum Electronics et Qobly.

 

*CPHT : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris
LIX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris
LOA : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, ENSTA Paris - Institut Polytechnique de Paris
LSI : une unité mixte de recherche CEA, CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris
PMC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris
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