L’art du kirigami aide à concevoir de nouveaux matériaux

Des travaux du laboratoire d’hydrodynamique de l’École polytechnique menés par Sophie Ramananarivo s’inspirent du kirigami, l’art japonais du découpage de papier, pour étudier des matériaux capables de se déformer lorsqu’ils sont immergés dans un fluide.
24 Mar. 2022
Recherche, Matériaux, LadHyX
Niveau de lecture :

Dans la fable du chêne et du roseau, ce dernier résiste à la tempête grâce à sa capacité à se plier sans rompre sous la force du vent. Ces capacités de déformation du vivant ont depuis longtemps inspiré les concepteurs de matériaux et les scientifiques qui étudient, par exemple, comment un objet immergé dans un écoulement fluide se comporte. Pour aller plus loin, une équipe du laboratoire d’hydrodynamique (*LadHyX) s’est demandé comment de petites découpes dans un matériau souple lui permet de se déployer de lui-même dans l’eau afin d’adopter une configuration souhaitée. Leurs travaux à ce sujet viennent de donner lieu à une publication dans la revue Physical Review Fluids.

Le kirigami, art originaire du Japon, consiste à entailler une feuille de papier afin qu’elle puisse prendre une forme 3D particulière. « Cette technique a déjà conduit des scientifiques à imaginer des pansements très flexibles ou encore des panneaux solaires capables de s’incliner pour suivre la course du Soleil dans le ciel. Mais le kirigami n’avait pas encore été utilisé pour contrôler le déploiement d’un matériau dans les fluides » explique Sophie Ramananarivo, maître de conférences à l’Ecole Polytechnique, qui mène un projet de recherche sur ce sujet au LadHyX.

Pour le travail qui vient d’être publié, les chercheurs, notamment Tom Marzin, doctorant et premier auteur de l’article, ont taillé par découpe laser de fines fentes dans la surface d’une feuille de plastique. Plongée dans un courant d’eau, les fentes deviennent des pores par lesquels l’écoulement passe et la feuille devient un filet gonflé dans le sens du courant. Mais le gonflement n’est pas symétrique : lorsque les matériaux se déforme, de petites ailettes apparaissent qui ont pour conséquence que la force exercée par l’eau possède également une composante perpendiculaire au courant. L’équipe a également construit un modèle théorique à partir de l’expérience pour bien comprendre le phénomène.

(a et b) Un motif de kirigami est découpé dans une feuille de plastique. Celle-ci peut alors se déployer dans un courant d'eau. (c) Vue de dessus, les ailettes (en noir), dues à la géométrie du motif de découpe, causent un gonflement asymétrique.

Il est possible de concevoir d’autres motifs géométriques de découpe, par exemple avec des encoches judicieusement placées dans la feuille, pour obtenir une configuration différente dans l’écoulement. L’objectif, à terme, consiste à faire de l’ingénierie inverse (rétro-engineering), c’est-à-dire pouvoir déterminer quels motifs doivent être découpés dans le matériau afin qu’il adopte la géométrie voulue. « Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est comment la structure introduite par le kirigami dans le matériau rend ce dernier intelligent, au sens où il adopte seul la bonne forme dans l’écoulement » précise Sophie Ramananarivo. Et le cousin du kirigami, l’origami, où les feuilles sont pliées sans être découpées, fait aussi parti de ses sources d’inspiration.

 

*LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

Retour