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Lasers : les perspectives toujours très prometteuses du CPA
La technique d’amplification à dérive de fréquence (CPA) permet aux lasers de devenir toujours plus puissants et de relever des défis jusqu’ici inaccessibles. Dès l’invention du laser en 1958, Gordon Gould dans le dépôt de son brevet décrivait de nombreuses applications qui ont vu le jour, tels que le soudage, le perçage ou encore les télécommunications. Mais l’invention du CPA qui a valu à ses inventeurs, Donna Strickland et Gérard Mourou, un prix Nobel en 2018, a ouvert la voie à la nouvelle ère des lasers de haute puissance dont toutes les potentialités sont encore loin d’avoir été explorées.
L’ophtalmologie : une application éprouvée
La sérendipité - ce hasard heureux qui fait avancer la science - est à l’origine de l’utilisation des lasers pour la chirurgie oculaire : alors qu’un étudiant de Gérard Mourou reçoit malencontreusement le faisceau laser dans l’œil, ce dernier imagine déjà que son laboratoire va fermer. Heureusement, cette blessure s’avère bénigne mais intrigue le chirurgien qui l’examine : comment avez-vous réussi à réaliser une ablation aussi parfaite ? Il n’en fallu pas plus pour initier une collaboration entre chirurgiens et physiciens pour faire du laser un instrument indispensable de la chirurgie oculaire. Pionnière dans ce domaine, l’ophtalmologue hongroise Imola Ratkay -Traub, a vécu l’arrivée du laser dans les salles d’opération. « Flap » qui consiste à créer un rabat pour opérer la partie supérieure de la cornée, ablation, correction des aberrations : le laser a révolutionné la chirurgie de l’œil grâce à sa précision et à la « propreté » de cet outil de lumière qui ne transporte aucune bactérie.
Accélérer des particules
Inventée sur le papier par Toshiki Tajima et John Dawson en 1979, l’accélération par champ de sillage plasma (wakefield acceleration) avait besoin d’un laser suffisamment puissant pour être démontrée : le principe de cette technique est d’utiliser un laser pour créer un sillage – à l’image d’un bateau sur un lac – au sein d’un plasma (gaz ionisé). Les particules chargées, comme par exemple les électrons du plasma « surfent » alors sur les vagues du plasma et sont ainsi accélérées sur de très courtes distances jusqu’à des énergies très élevées. C’est l’invention du CPA et la rencontre entre Toshiki Tajima et Gérard Mourou qui a permis de valider expérimentalement ce concept en 1994. Leur collaboration toujours fructueuse aujourd’hui permet d’imaginer les accélérateurs de particules du futur : beaucoup plus compacts, ils pourraient remplacer des installations comme le CERN en accélérant les particules sur une centaine de mètres (contre 27 km actuellement).
L’étude du vide
Le vide est rempli : rempli de champ magnétique qui interagit avec les faisceaux lasers lorsque leur puissance est suffisante. Alors que la lumière semble se propager sans aucune perturbation dans le vide à basse énergie, le vide devrait révéler de nouvelles propriétés lorsqu’il est soumis à un rayonnement photonique élevé. Sergei Bulanov, l’un des chefs de file d’un programme de recherche sur l’installation ELI-beamlines* en République tchèque, a travaillé sur l’étude des propriétés du vide en collaboration avec Toshiki Tajima et Gérard Mourou. Les travaux dans ce domaine de haute intensité lumineuse ont permis de révéler que le vide se comporte alors comme un plasma de paires virtuelles d’électrons et positrons qui influencent la propagation de la lumière en la dispersant ou la dissipant. A partir d’une certaine puissance que les lasers devraient atteindre très prochainement grâce au CPA, le champ électrique pourrait alors franchir la limite de Schwinger, faisant ainsi « bouillir » le vide et se matérialiser ces paires d’électrons et positrons issues du néant.
L’univers en laboratoire
La puissance des lasers permise par le CPA permet aujourd’hui aux chercheurs d’étudier l’univers depuis leur laboratoire. Jena Meineke, jeune astrophysicienne au département de physique de l’Université d’Oxford réalise ainsi des supernovas miniatures en laboratoire* et tente de reconstituer les conditions primordiales de l’univers pour mieux comprendre le champ magnétique et son origine. De son côté, Pisin Chen, professeur de cosmologie de l’Université nationale de Taiwan et lauréat de la Chaire internationale Blaise Pascal qui lui permet de poursuivre actuellement des recherches à l’École polytechnique, étudie les trous noirs. Il utilise pour cela l’accélération wakefield cité précédemment pour reproduire les phénomènes gravitationnels à proximité de l’horizon de ces géants astrophysique. En effet, la relativité générale d’Einstein démontre que par changement de référentiel, la gravitation est équivalente à une accélération. Tous deux courbent l’espace-temps et devraient produire le rayonnement de Hawking nommé rayonnement de Unruh pour le champ d’accélération. C’est en combinant cette propriété de l’univers avec l’accélération des particules dans un sillage laser que Pisin Chen compte lever le voile sur les mystères qui entourent les trous noirs, en particulier le paradoxe de la perte d’information de Hawking.
Vers une production d’énergie zéro CO2
Si le CPA permet de faire avancer la recherche fondamentale et à déjà fait ses preuves dans ses applications médicales, c’est sur la production d’une énergie propre que se concentre désormais Gérard Mourou. Deux axes sont envisagés mais tout deux concernent l’énergie nucléaire qui ne produit pas de CO2 mais dont les déchets présentent malheureusement d’autres risques pour l’Homme et la planète.
Présenté dès la remise de son prix Nobel, l’une des applications qu’il compte faire émerger est la transmutation des déchets nucléaire. L’idée de Gérard Mourou est d’utiliser les lasers pour créer un faisceau de neutrons afin de bombarder les déchets radioactifs. Ainsi ces derniers « transmutent », en devenant de nouveaux éléments dont la radioactivité s’estompe beaucoup plus rapidement. De déchets ayant un temps de vie de plusieurs milliers d’années, le Prix Nobel espère produire des éléments dont le temps de vie sera de quelques dizaines d’années.
La seconde application qu’il envisage pour le nucléaire est le changement de matière première en passant de l’Uranium au Thorium. Gérard Mourou explique que pour produire une puissance de 1GW pendant un an, 300 mégatonnes de charbon sont nécessaires, 300 tonnes d’Uranium, et seulement 1 tonne de Thorium. Le laser permettrait d’exploiter ce matériau dont il vente également les bienfaits pour la paix de la planète : son utilisation ne permet pas de produire du plutonium, élément de base pour les bombes atomiques.
Le CPA compte encore de nombreuses applications qui n’ont pas pu être abordées lors de l’anniversaire de la technique, telles que le micro-machining, le traitement du cancer ou les mesures dynamiques en chimie. Ces applications et ses perspectives sont rendues possibles par des échanges au sein de la communauté des lasers de haute puissance et par l’imagination de chercheurs passionnés comme Gérard Mourou qui cherchent à repousser toujours les limites de la science pour la connaissance et le bien de l’humanité.
* ELI-beamlines fait partie des trois installations laser du réseau ELI.
* Découvrez également les travaux réalisés à l’X dans le domaine de l'astrophysique de laboratoire.
En savoir plus sur la technique CPA :
Le principe : au lieu d’amplifier directement une impulsion laser dont l’intensité endommagerait les composants optiques, ils étalent celle-ci dans le temps en amont de l’amplification. A l’image d’un prisme qui sépare les couleurs de l’arc en ciel, les différentes couleurs - fréquences - qui composent l’impulsion laser sont retardées les unes par rapport aux autres et passent tour à tour dans le milieu amplificateur. Une fois toutes les fréquences amplifiées, l’impulsion est recombinée, lui restituant ainsi la puissance totale de chacune des fréquences. Cette technique permet d’atteindre des puissances crêtes jamais atteintes pour des impulsions laser.