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Le haut potentiel des archées
« Les archées ont longtemps été sous-étudiés. Mais les possibilités récemment offertes par le séquençage et l’avènement de la métagénomique (1) relancent l’intérêt de la communauté scientifique pour eux », constate Hannu Myllykallio. Ce biologiste, chercheur au Laboratoire d’optique et biosciences (LOB*), scrute depuis plus de 20 ans les archées thermophiles et halophiles, qui supportent des températures élevées et de fortes concentrations en sel. A l’été 2024, il a d’ailleurs organisé un workshop international (EMBO – European Molecular Biology Organisation) à l’École Polytechnique sur la biologie moléculaire des archées.
Nouvelles pistes antibiotiques
Dans son laboratoire, Hannu Myllykallio se concentre sur l’étude du génome des archées. Il a constaté qu’une réaction cruciale dans la synthèse d’une des bases azotées de l’ADN manquait à l’appel. « La conversion de l’uracile en thymine n’est pas réalisée par la même famille d’enzyme (thymidylate synthase) que chez l’Homme notamment. Les mécanismes réactionnels de cette nouvelle thymidylate synthase en jeu sont différents », souligne le chercheur. Le résultat, inattendu, était assez impactant pour faire l’objet d’une publication dans la revue Science (2). Parallèlement, le biologiste a remarqué que des bactéries pathogènes sur lesquelles il travaillait - Mycobacterium tuberculosis (responsable de la tuberculose) et Helicobacter pylori (responsable des ulcères à l’estomac) - présentaient ces mêmes enzymes et les utilisaient pour leur multiplication. La voie vers un nouvel antibiotique était ouverte. L’équipe d’Hannu Myllykallio a donc isolé un inhibiteur de ce nouveau groupe d’enzymes et travaille actuellement avec le Laboratoire d’informatique de l’École Polytechnique (LIX*) à sa modélisation et son optimisation.
D’autres travaux menés de pair avec une équipe japonaise, ont apporté de nouvelles connaissances sur les mécanismes de réparation de l’ADN chez les archées. Au moment de la duplication de la molécule, certaines de ses bases azotées qui n’ont rien à faire ensemble s’apparient. C’est le cas de la guanine et de la thymine. Des enzymes que l’on n’attendait pas ici, corrigent alors cette erreur. Or, ces dernières sont présentes chez Mycobacterium tuberculosis et servent à la réparation de son ADN. Il n’en fallait pas plus pour aiguiser la curiosité des chercheurs du LOB, notamment celle de Rima Zein-Eddine, post doctorante aux côtés d’Hannu Myllykallio. La scientifique a analysé plus de 60 000 séquences génétiques de Mycobacterium tuberculosis et décelé plus d’une centaine de mutations de ces enzymes, potentiellement impliquées dans la résistance de la bactérie aux antibiotiques actuels.
Échelle moléculaire…et au-delà
Plus que jamais, les archées sont une source potentielle de découvertes, et ce dans de nombreux domaines. Par exemple, ces micro-organismes présentent mécanismes de divisions cellulaires appartenant à la fois aux procaryotes et aux eucaryotes. Une spécificité qui relance l’intérêt des chercheurs dans leur quête d’un ancêtre commun à l’ensemble des cellules du vivant. Les scientifiques du Laboratoire de biologie structurale de la cellule (BIOC*) de l’École polytechnique ont quant à eux repéré de nouvelles voies de traduction de l’ADN chez les archées, et les virologues de l’Institut Pasteur, une large palette de virus dirigées contre elles, aux formes et aux structures variées.
Au-delà du milieu cellulaire, les archées jouent un rôle majeur dans la méthanogenèse. « Ces microorganismes comptent certainement parmi les plus importants producteurs de méthane sur Terre. Certains scientifiques ont même cherché à diriger un vaccin contre elles afin de réduire la production de méthane par le bétail », raconte Hannu Myllykallio. Décidément surprenantes, des archées dites autotrophes trouvent dans le CO2 de l’atmosphère le carbone nécessaire à la production de leurs glucides et autres composés organiques. L’ensemble de ces découvertes est d’autant plus important que les archées colonisent la plupart des environnements (terre, eau, microbiotes…) et pas uniquement les milieux extrêmes (sources d’eau chaude, fumeurs noirs des fonds marins, etc.). Leur impact écologique est donc non négligeable.
Enfin, les archées sont intéressantes pour le domaine des biotechnologies. « De nombreuses enzymes commercialisées pour l’amplification de l’ADN in vitro (kits PCR et biologie synthétique) proviennent de ces cellules », souligne Hannu Myllykallio. Le milieu pharmaceutique étudie aussi la possibilité de modifier leur génome pour fabriquer des molécules médicamenteuses, quand d’autres équipes cherchent à leur faire produire de l’éthane, bien moins impactant en termes de réchauffement climatique que le méthane ou l’oxyde nitreux (N2O) qu’elles émettent naturellement.
(1) La métagénomique associe le séquençage et le big data pour analyser tout ou partie des génomes présents dans un échantillon sans passer par la culture en laboratoire.
(2) An alternative flavin-dependent mechanism for thymidylate synthesis, Hannu Myllykallio et al. 2002, Science DOI : 10.1126/science.1072113
*LOB : une unité mixte de recherche CNRS, Inserm, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
LIX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
BIOC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
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