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Le président de Renault à l’X – La responsabilisation, avenir du management

Jean-Dominique Senard, président de Renault depuis 2019 a partagé avec les élèves et étudiants de l’X les grands enjeux auxquels est confronté le constructeur automobile et leurs conséquences en termes d’organisation mais aussi ses convictions sur l’avenir du management et le rôle clé de la responsabilisation pour donner du sens au travail.
18 Mar. 2024
Institutionnel

La responsabilisation est le seul moyen de concilier sens collectif et sens individuel à un moment où les attentes vis-à-vis des entreprises sont très fortes mais où simultanément le travail fait l’objet d’une prise de distance grandissante, a estimé Jean-Dominique Senard, président du groupe automobile Renault depuis 2019, à l’occasion d’un échange avec élèves et étudiants à l’École polytechnique. 

« Il y a un paradoxe incroyable aujourd’hui c’est que d’un côté la société attend énormément des entreprises et de l’autre de plus en plus de gens regardent le travail comme quelque chose de relativement éloigné, peu épanouissant, avec un attachement de moins en moins fort à l’entreprise et n’hésitant pas à passer de l’une à l’autre », a déclaré le président de Renault. 

« Une des raisons fondamentales de ce paradoxe, a-t-il poursuivi, c’est que les différentes générations dans le monde de l’emploi aujourd’hui ont progressivement perdu le sens de ce qu’elles faisaient, le sens du travail ». Cela fait écho à deux rapports : celui consacré en 2018 à « L’entreprise, objet d’intérêt général », co-écrit avec Nicole Notat, ancienne dirigeante de la CFDT, et remis aux ministres de la Transition écologique, de l’Économie, et du Travail ; et plus récemment, le rapport « Re-considérer le travail », co-écrit avec Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail Emploi du Conseil économique social et environnemental, et remis au ministre du Travail (2023).

« C’est la responsabilité des patrons d’entreprise, mais pas uniquement, de donner du sens, et c’est pour cela que l’on a commencé à parler de la notion de ‘raison d’être’ de l’entreprise (…) qui est totalement essentielle si l’on veut comprendre pourquoi on a une stratégie, pourquoi on se donne du mal et pourquoi cela vaut la peine de s’engager collectivement », a-t-il relevé. 

« Si toutes les entreprises avaient une raison d’être, ce serait formidable. Ce n’est pas encore le cas, mais cela avance. Pourtant, cela ne suffit pas parce qu’en plus du sens collectif auquel tout le monde peut-être sensible, il y a un sens supplémentaire dont nous avons tous besoin dans notre vie professionnelle : nous avons besoin d’un sens personnel, c’est-à-dire dire de savoir si nous sommes-là où nous avons envie d’être, de comprendre nous-mêmes la façon dont nous travaillons et d’être reconnu dans notre travail. »

La responsabilisation dans le travail est le seul moyen de résoudre le paradoxe entre le collectif et l’individuel, le seul moyen de faire en sorte que les uns et les autres se sentent reconnus, utiles et par conséquent beaucoup plus motivés à travailler, a estimé Jean-Dominique Senard qui outre la présidence de Renault a exercé des fonctions de direction (chez Saint-Gobain) ou dirigé plusieurs grands groupes industriels français (Péchiney et Michelin). 

« Cette question de la responsabilisation est un sujet énorme, c’est facile de le dire… c’est horriblement compliqué à mettre en œuvre. »

IMAGINER L’AVENIR

« Changer une entreprise, d’une entreprise verticale où l’autorité se fait sentir du haut jusqu’en bas, dans des silos incroyables, ce qui était le cas de Michelin quand je suis rentré dans cette entreprise, et ce qui était le cas de Renault que j’ai découvert il y a cinq ans, transformer cette entreprise en une entreprise où les salariés se sentent totalement reconnus, responsabilisés à travers une autonomie qui leur est confiée, ce sera votre rôle en tant que cadre et dirigeant dans l’avenir », a dit Jean-Dominique Senard.

Cela implique « un changement fondamental de mentalité des managers qui doivent complètement transformer leur état d’esprit, passer d’un stade où ils commandaient le matin, contrôlaient le soir et supervisaient l’après-midi à une situation où ils deviennent des développeurs de talents et résolvent les problèmes d’une équipe à laquelle ils ont confié une autonomie»,  a poursuivi le président de Renault. 

« Je vous le dis parce que j’en ai l’expérience, je l’ai vécu et cela a été une de mes grandes responsabilités de dirigeant. La responsabilisation est la clé pour concilier sens collectif et sens individuel (…) car elle permet à chacun de se sentir reconnu et utile à condition bien sûr – et là encore c’est très difficile – d’accepter cette responsabilité et d’en rendre compte. C’est le fil directeur que vous devez considérer dès aujourd’hui si vous vous intéressez aux conditions de management pour essayer d’imaginer ce que sera l’avenir. »

S’adressant à son auditoire, Jean-Dominique Senard l’a appelé à s’engager dans l’entreprise et la vie sociale. 

« Vous n’imaginez pas le rôle que vous pouvez jouer dans l’avenir. Nos entreprises ont besoin de vous. Nous avons besoin que vous vous engagiez dans l’entreprise, que vous soyez vous-même, nous avons besoin que vous vous engagiez dans la vie sociale, c’est indispensable. »

Dans son introduction à l’intervention de Jean-Dominique Senard, la directrice générale et présidente par intérim de l’X avait déclaré : « Vous nous invitez à re-considérer le travail, à rétablir le respect, l’écoute et surtout la responsabilisation des salariés. Responsabilité, sens du collectif et progrès social, ce sont des mots qui résonnent dans les murs de cette École. » 

« Nous formons depuis 230 ans des ingénieurs mais aussi des dirigeants à même d’agir avec la démarche scientifique chevillée au corps et le constant de l’intérêt général », avait ajouté Laura Chaubard.

L’INNOVATION AU CŒUR DES ORGANISATIONS 

Le patron de Renault a aussi présenté les quatre révolutions qui transforment l’industrie automobile et leurs conséquences en matière d’organisation le Groupe Renault. 

« Les quatre grandes révolutions que nous vivons aujourd’hui dans l’industrie automobile ont cette caractéristique particulière d’être cumulatives et pas séquentielles, ce qui veut dire qu’au lieu de les traiter les unes après les autres, nous sommes obligés de les traiter toutes en même temps », a expliqué Jean-Dominique Senard, citant la révolution écologique en premier lieu. 

« La deuxième révolution, qui est en fait une conséquence de la première, c’est la révolution technologique avec le passage du thermique qui a dominé le monde pendant 150 ans à une variété de motricités différentes que ce soit l’hybride, l’électrique pour ne pas parler de l’hydrogène… ce sont des révolutions énormes qui nécessitent des changements de pied majeurs et des milliards d’euros d’investissements. »

« La troisième révolution, c’est bien sûr la révolution digitale (…) et la dernière c’est celle des usages qui fait que l’on peut accéder à la mobilité, pas seulement à travers la propriété d’un véhicule, mais également en accédant à un ensemble de services et de solutions. 

« Ces quatre révolutions ont des conséquences considérables sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise de l’écoconception du véhicule jusqu’à la distribution et à la fin de vie », a souligné Jean-Dominique Senard. 

« Pour gérer l’ensemble de ces défis, il faut mettre l’innovation au cœur de nos organisations, faire en sorte qu’elles soient fondamentalement innovantes », a-t-il poursuivi évoquant plusieurs voies permettant d’y parvenir. 

« Une entreprise qui était jusqu’à présent uniforme, rendant difficile la distinction de ses forces et ses faiblesses, il faut la transformer en une entité démultipliée qui puisse mettre en valeur les différentes révolutions dont je viens de parler », a expliqué le patron de Renault. 

« Il faut créer des unités spécifiques qui s’y consacrent entièrement pour accélérer l’histoire », a-t-il poursuivi, citant la création d’Ampère intégralement dédié au sein de Renault au véhicule électrique et au logiciel, aussi bien en termes de recherche, de fabrication que de distribution ; ou encore la création d’une unité consacrée aux motorisations thermiques, mais aussi hybrides et aux nouveaux carburants ; ou encore la reconversion de l’usine de Flins qui devait être fermée et qui a été reconvertie en centre d’économie circulaire pour traiter notamment le recyclage des batteries, le retroffiting de véhicules ou la réutilisation de matériaux. 

Une autre voie consiste à reconnaître qu’aucune entreprise, aujourd’hui, ne peut plus vivre seule et doit, pour survire dans la durée dans un environnement très concurrentiel, travailler en écosystème en nouant des partenariats dans des domaines qui ne sont pas ses domaines d’origine mais qui sont indispensables à son développement, a poursuivi Jean-Dominique Senard. 

Sa fibre humaniste le conduit très vite à tempérer son propos : « C’est bien de s’organiser mais pourquoi le fait-on ? Est-ce uniquement pour la technologie, est-ce uniquement pour l’innovation, est-ce uniquement pour le produit ? Cela ne peut pas être que pour cela, c’est forcément aussi pour des questions d’humanité, de relations humaines à l’intérieur de l’entreprise », rappelle-t-il. 

Mais d’ajouter : « Tout ce que nous faisons en matière de recherche et de technologie - et l’École polytechnique est un modèle du genre - tout cela serait vain si derrière il n’y a pas de génération pour prendre le relai et mettre toute cela en application dans des entreprises (…) nous vivons dans un monde de compétition redoutable. Ce n’est pas le moment de lâcher par une forme d’abandon du travail. » 

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