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Marcel Filoche récompensé pour ses travaux sur la localisation des ondes
Les ondes, qu'elles soient les vagues qui s’étendent à la surface de l’eau, ou les sons qui parviennent jusqu’à nos oreilles, ont généralement la propriété de se propager, d’emplir la totalité de l’espace qui leur est disponible. Pourtant, il se produit dans certaines circonstances un phénomène appelé localisation, dans lequel une onde stationnaire se retrouve comme piégée dans une très petite région de l’espace qui lui est accessible.
Ceci se produit lorsque la géométrie est complexe ou lorsqu’un fort désordre structurel est présent au sein du système étudié. Ces systèmes désordonnés ou à géométrie complexe se trouvent justement au cœur des travaux de Marcel Filoche, directeur de recherche CNRS au laboratoire de Physique de la matière condensée (PMC*) de l’Ecole polytechnique. Il vient d’être récompensé par l'Académie des sciences du prix Mme Claude Berthault.
Formé à l’Ecole polytechnique, ce physicien théoricien spécialiste de modélisation numérique a commencé sa carrière dans l’étude des semiconducteurs pour les dispositifs optoélectroniques au sein du centre de recherche de France Télécom. Arrivé au laboratoire PMC, il étudie les voies respiratoires humaines afin de comprendre comment les gaz et les fluides circulent dans les poumons, dont la géométrie ramifiée est complexe. Il se penche en parallèle sur le phénomène de localisation dès le début des années 2000, en particulier en collaboration avec Bernard Sapoval qui avait initié des expériences sur la localisation des ondes acoustiques.
La localisation des ondes est un phénomène est connu de longue date. Dès 1958, le physicien Philip W. Anderson avait montré que le désordre provoque des interférences destructives – c’est-à-dire des lieux où les creux d’une onde se superposent aux crêtes d’un autre, les annulant toutes les deux – et ce sur de longues distances. Cette localisation affecte notamment les électrons traversant un matériau dont la structure est désordonnée. Les électrons sont en effet décrits comme des ondes par la physique quantique, et l’équation de Schrödinger permet de calculer les états d’ondes stationnaires qu’ils peuvent occuper. S’il y a localisation de ces états dans un alliage métallique conducteur par exemple, alors les électrons demeurent cantonnés à un endroit au lieu de traverser le matériau : celui-ci devient isolant. La localisation affecte donc de manière importante les propriétés d’un tel système. Où se localisent les électrons ? Avec quelle énergie ? Ces questions étaient jusqu’alors abordée de façon probabiliste, en calculant des grandeurs statistiques comme des moyennes.
Avec la mathématicienne Svitlana Mayboroda, Marcel Filoche a découvert le concept de paysage de localisation permettant d’attaquer le problème de manière radicalement nouvelle. Cet outil mathématique permet, en résolvant une équation plus simple que celle de Schrödinger, de prédire où vont être localisés les états et d’estimer leur énergie. « Cet outil synthétise une très grande partie des informations spatiales et spectrales du système, et permet de les manipuler de façon simple et efficace » souligne le chercheur, qui est un des porteurs du projet de recherche sur la localisation des ondes financé par la fondation Simons.
Le paysage de localisation peut par exemple servir à calculer les effets quantiques dans les semiconducteurs qui composent les diodes électroluminescentes, les LEDs, afin de comprendre les limitations actuelles de ces systèmes d’éclairage qui remplacent aujourd’hui efficacement les ampoules traditionnelles. « Notre méthode permet de gagner un facteur 300 à 1000 sur les temps de calcul de simulation de ces dispositifs semiconducteurs, et donc de comprendre leur fonctionnement dans des tailles réalistes tout en tenant finement compte des effets quantiques comme le confinement, l’effet tunnel ou l’absorption de lumière qui se produisent à l’échelle nanométrique » précise Marcel Filoche. Claude Weisbuch, également chercheur au laboratoire PMC et à l’université de Californie à Santa Barbara, s’attache en particulier à ces aspects dans le projet sur la localisation des ondes.
Mais cet outil s’applique également à d’autres type d’ondes et de milieux : atomes froids, perovskites, voire même des molécules organiques comme les enzymes. « Nous avons trouvé un outil conceptuel qui semble avoir une puissance que nous n’avions pas soupçonné initialement, ajoute Marcel Filoche. Mais il reste beaucoup à comprendre et à trouver, à la fois sur le plan mathématique pour prouver rigoureusement les propriétés du paysage de localisation et sur le plan physique, afin de l’appliquer à de nouveaux systèmes. Ce qui est très satisfaisant, c’est que d’autres équipes, indépendamment de notre projet, commencent à l’utiliser dans des domaines de recherche en pointe, comme par exemple la localisation à n-corps (many body localization) ou les graphes quantiques. »
> En savoir plus sur le projet de localisation des ondes
*PMC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris