MERGE : la biologie par A+B

Comment se comportent une lignée de bactéries face à un cocktail d’antibiotiques, des cellules cancéreuses face à une chimiothérapie ou encore la forêt guyanaise face au changement climatique ? Au centre de mathématiques appliquées (CMAP), l’équipe MERGE œuvre à l’interface de la biologie et des mathématiques. Elle contribue à l’émergence de nouvelles questions et outils dans ce dernier domaine, tout en éclairant les problématiques des biologistes.
28 mai. 2024
Recherche, Biologie et Biomédical, Mathématiques, CMAP, École polytechnique
Niveau de lecture :

Mathématiques et biologie, un duo scientifique inattendu ? Pas vraiment. Dans les pays anglosaxons, des passerelles existent depuis la fin du 19ème siècle entre les deux disciplines. Les travaux de Charles Darwin avaient en effet ouvert la voie à l’émergence d’outils statistiques servant à l’analyse des données qu’il avait récoltées. En France, cette association a été difficilement envisageable avant la deuxième moitié du 20ème siècle, la biologie ayant hérité des observations et des classifications de Buffon. Ce n’est qu’à partir des années 50-60 et du développement massif des outils d’investigation biologique que les scientifiques accumulent des données qu’il convient d’interpréter.

Dynamique des populations 

« Les mathématiques proposent aux biologistes des modèles expliquant ce qu’il n’est pas possible d’observer directement », souligne Marie Doumic, directrice de recherche à l’Inria et responsable de l’équipe projet MERGE. Au Centre de mathématiques appliquées, MERGE – comprendre Mathematics for Evolution, Reproduction, Growth and Emergence - s’enracine à l’interface des deux disciplines et rassemble une quinzaine de chercheuses et chercheurs sous la bannière de la dynamique des populations. « L’interdisciplinarité est notre raison d’être. Pour nous, c’est un réservoir inépuisable de problèmes mathématiques nouveaux ou de regards nouveaux sur de vieux problèmes. Pour les biologistes, c’est une ouverture à de nouvelles façons de penser et à d’autres pistes de travail ».

L’équipe projet intervient dans les champs du vieillissement et du cancer, mais aussi de la modélisation à différentes échelles. « Ce dernier domaine nous intéresse particulièrement car il couvre aussi bien des méthodes stochastiques (ndlr : d’analyse de l’évolution de quantités aléatoires) pour décrire des phénomènes à l’échelle microscopique, que des méthodes dites moyennées à des échelles plus macroscopiques », explique la chercheuse. 

Développer les connaissances

Si les recherches développées par les membres de MERGE présentent des similitudes entre elles, la variété des travaux menés apporte toujours plus de connaissances et de nouveauté. Un projet sur la fragmentation des fibres amyloïdes a par exemple conduit Marie Doumic à établir un ensemble d’équation novateur – basé sur un système d’interaction proie-prédateur cher aux écologues - pour modéliser la polymérisation de ces protéines impliquées dans certaines maladies neurodégénératives, et apporter une explication scientifique aux observations des biologistes.  

« Ces sujets de recherches sont passionnants. A travers eux, nous essayons de construire des objets mathématiques innovants au service des biologistes » renchérit Sylvie Méléard, professeure au CMAP* et membre de l’Institut universitaire de France.

La fondatrice de la chaire Modélisation mathématique et biodiversité (MMB - en lien avec le Muséum national d’Histoire naturelle) est très impliquée auprès de microbiologistes de l’Ecole normale supérieure et d’oncologues de l’Hôpital Saint-Louis à Paris. « Je tente de décrire, à l’aide d’équations mathématiques, le comportement des cellules au cours du temps (différenciation, division, mort), de prendre en compte l’apparition des mutations, le comportement des mutants, et de présenter des scénarios possibles d’évolution aux médecins et aux biologistes », explique Sylvie Méléard. Il s’agit par exemple de modéliser l’apparition et la multiplication de cellules mutantes dans un organisme pour optimiser une chimiothérapie ou encore l’évolution d’une lignée de bactéries face à un cocktail d’antibiotiques pour lutter contre l’antibiorésistance. « Mais ne nous leurrons pas. La biologie est complexe. Tout cela prend du temps », avertit la mathématicienne. 

Sylvie Méléard n’est pas la seule à traiter l’antibiorésistance au sein de MERGE. Également chercheur au CMAP, Gaël Raoul l’aborde sous l’angle de la structure spatiale. En d’autres termes, ses modèles mathématiques considèrent la façon dont les organismes occupent leur environnement et comment ils interagissent avec lui. Il étudie ainsi, à l’aide d’équations aux dérivées partielles et de méthodes probabilistes, l’impact d’une posologie antibiotique ou de procédures d’hygiène hospitalières sur l’émergence de bactéries résistantes ou nosocomiales. « J’aborde ces travaux dans une optique One health, c’est-à-dire prenant en compte les santés humaines, animales et environnementales. C’est une thématique centrale de l’antibiorésistance », explique Gael Raoul. Les outils développés par le chercheur pourraient même contribuer à retracer le parcours de vie d’une bactérie. « Une maladie nosocomiale par microorganisme résulte d’une série d’événements très rares qu’il est possible de remonter mathématiquement et donc d’anticiper ou de mieux appréhender ».

Depuis peu, la modélisation de la structure spatiale a également conduit le chercheur du côté des forêts guyanaises. L’ONF y a constaté la mort de plusieurs parcelles de forêt et s’interroge sur les capacités des arbres à s’adapter au changement climatique mais aussi sur les actions à mener pour préserver la forêt dans ce contexte. Le mathématicien doit pour cela définir une enveloppe de scénarios qu’il passera un par un à la moulinette de ses modèles mathématiques. « C’est de l’optimisation robuste. Ici toutes les éventualités sont prises en compte, y compris les plus extrêmes qui sont habituellement mises à la marge car considérées comme peu probables », explique Gaël Raoul. « L’objectif est d’aller au-delà des simulations numériques que l’ONF maitrise déjà et de construire un message simple et facile à diffuser auprès des acteurs locaux ».

Passeurs

Aujourd’hui, l’expertise des mathématiciennes et des mathématiciens est reconnue et identifiée par les biologistes. Ces derniers n’hésitent plus à solliciter leurs collègues pour obtenir un nouvel éclairage sur leurs travaux. En 20 ans, Sylvie Méléard et sa chaire MMB ont largement contribué à la construction d’une communauté « maths-bio » solide et vivante. « Nous avons encore besoin de passeurs entre les deux domaines, MERGE y contribue », souligne la professeure. « L'équipe est à la croisée des mathématiques, de la biologie et de la médecine. Nous pensons que des théories construites conjointement avec nos collègues peuvent soutenir notre compréhension du monde vivant et nous permettre d'imaginer des réponses aux problématiques actuelles », concluent Marie Doumic, Sylvie Méléard et Gaël Raoul.

*CMAP : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique – Institut Polytechnique de Paris 

Retour