Observer et manipuler les spins à l’échelle individuelle

Chercheur au Laboratoire de Physique de la matière condensée, Fabian Cadiz est lauréat d’une bourse Starting Grant du Conseil européen de la recherche pour son projet OneSpin sur les semiconducteurs à deux dimensions.
22 nov. 2022
Recherche, Matériaux, Quantique, Sciences fondamentales, PMC

Les semiconducteurs, par exemple le silicium, constituent une classe de matériaux bien connue des physiciennes et physiciens et dont les propriétés ont permis la révolution des technologies électroniques dans la seconde moitié du XXe siècle. Depuis récemment, une nouvelle famille de matériaux attire l’attention : les semiconducteurs bidimensionnels. A l’Ecole polytechnique, Fabian Cadiz a lancé l’étude de ces matériaux lors de son arrivée en tant que chercheur au Laboratoire de Physique de la matière condensée (PMC*) en 2017.

Ces semiconducteurs sont dits bidimensionnels (2D) à cause de leur extrême minceur : quelques atomes d’épaisseur. La physique s’en trouve radicalement modifiée par rapport aux structures à trois dimensions. Dans la foulée du graphène, premier matériau 2D -mais non semiconducteur- les chercheurs savent désormais fabriquer toute une variété de semiconducteurs 2D en « arrachant » des couches d’épaisseur atomique à des cristaux 3D. MoS2, MoTe2, WS2, … Une couche de ces matériaux se compose d'un plan d'un métal de transition (comme le molybdène ou le tungstène) entouré en haut et en bas par deux plans de chalcogènes (sélénium, tellure, soufre...). D’où leur nom : dichalcogénures de métaux de transition (TMD, selon l’acronyme anglais).

Cela peut paraître étrange, mais les défauts de ces matériaux intéressent les chercheurs, comme Fabian Cadiz. « Par exemple, s’il manque un atome dans la couche, ce défaut piège localement des électrons et se comporte comme un atome artificiel » explique le physicien. Ces systèmes peuvent, par exemple, émettre des photons un par un ou être placés dans un état de superposition quantique. Certains défauts possèdent aussi un spin non nul, comme certains atomes ou particules. Contrôler les états de ces spins ouvrirait des perspectives pour les technologies quantiques. Dans un matériau à trois dimensions comme le diamant, des défauts (les « centres NV ») sont déjà exploités comme capteur de champs magnétique par exemple. Mais avant d’envisager ces possibilités pour les semiconducteurs 2D, il faut d’abord étudier les propriétés fondamentales de ces systèmes.

Grâce au financement du Conseil européen de la recherche pour son projet OneSpin, Fabian Cadiz compte sonder le comportement des spins dans ces matériaux TMD à l’échelle individuelle. Des expériences en laboratoire observent déjà de grands ensembles de ces spins. Comme une région de taille micrométrique peut en contenir plusieurs milliards, leur étude individuelle est plus difficile. C’est pourquoi un instrument original va être développé, qui combine un microscope à effet tunnel, (pour localiser et imager les défauts individuels), l’envoi de champs magnétiques (afin de manipuler l’état du spin) et un système optique capable d’exciter et de mesurer la réponse de ce spin. « Actuellement, il est difficile de savoir si les défauts observés au microscope à effet tunnel sont bien responsables du signal optique qu’on détecte par ailleurs. L’objectif consiste à combiner ces deux expériences en une seule » précise Fabian Cadiz.

Il espère ainsi mesurer combien de temps un spin peut rester dans un état de superposition quantique, ce qu’on appelle le temps de cohérence. Des calculs théoriques montrent que ce temps pourrait atteindre la milliseconde dans les semiconducteurs bidimensionnels, ce qui est très long. Le but consiste aussi à comprendre les mécanismes de « décohérence » par lesquels le spin interagit avec son environnement. A terme, le physicien imagine de pouvoir faire de l’ingénierie de ces défauts en les déplaçant grâce à la pointe du microscope à effet tunnel et en façonnant leur voisinage.

A propos de Fabian Cadiz :

Fabian Cadiz est professeur assistant au Département de physique de l’École polytechnique. Après son doctorat effectué au Laboratoire de Physique de la Matière Condensée,  récompensé par le prix de thèse de l'École Polytechnique, il a effectué un post-doc au LPCNO (Université Paul Sabatier/INSA/CNRS). Depuis 2017, il a construit une nouvelle activité de recherche qui explore la physique de nouveaux matériaux 2D. Pour cela, Fabian Cadiz a obtenu une bourse jeune chercheur de l'Agence nationale de la recherche (ANR).

 

*PMC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

Retour