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Pierre Haren : « La start-up reste l’une des aventures les plus extraordinaires de l’humanité »

Après le succès d’Ilog, créé en 1987 sous l’égide de l’INRIA, puis racheté par IBM, Pierre Haren (X73) a co-fondé Causality Link, une start-up s’appuyant sur l’IA et l’apprentissage automatique pour mieux comprendre les liens de causalité entre divers indicateurs économiques et événements de marché. Ce pionnier des start-up explique les raisons qui l’ont poussé à repiquer au jeu de la création d’entreprise et tire quelques enseignements de ses expériences pour les candidats à l’entrepreneuriat.  
12 oct. 2022
Entrepreneuriat, Innovation

Pierre Haren (X73, Ingénieur des Ponts, PhD au MIT) a connu le succès avec la création en 1987 d’Ilog, éditeur de composants logiciel de visualisation, règles métiers et optimisation. Avec des clients dans l’édition logicielle (SAP, Oracle, Manugistics), la gestion de la chaîne logistique (Port de Singapour, Delta Airlines), les équipements de télécommunications (Nortel, Huawei, France Telecom), la défense, la banque et l’assurance… Ilog a été introduite sur le Nasdaq en 1997 et revendue à IBM en 2008. En 2016, Pierre Haren co-fonde avec Eric Jensen la start-up Causality Link, qui s’appuie sur l’IA et l’apprentissage automatique pour mieux comprendre les liens de causalité entre divers indicateurs micro et macroéconomiques et événements de marché.   

La plateforme alimentée par l'IA de Causality Link analyse en temps réel plus de 120 millions de textes dans le monde pour identifier les déclarations explicites de cause à effet. En lisant des textes dans 27 langues, la plateforme agrège les connaissances de dizaines de milliers d'auteurs en un seul système d'intelligence collective, qui gère ensuite directement les indicateurs clés de performance, les événements, les tendances et les liens de causalité mentionnés dans ces textes. Grâce à la plateforme, les gestionnaires de portefeuille, les analystes et les utilisateurs professionnels peuvent saisir les idées collectives de milliers d'auteurs sur les forces du marché influant sur les matières premières, les actions, les industries et les indicateurs macroéconomiques.  

Causality Link a levé 5 millions de dollars dans un tour de table de série A en mai 2020 pour renforcer sa plateforme de recherche actuelle et procéder à plusieurs recrutements stratégiques. Le tour de table a été mené par le family office français Horizon.   

Pourquoi avoir repiqué au jeu de la création de start-up, près de trente ans après la création d’Ilog dont vous avez ensuite accompagné le développement pendant plus de deux décennies ?   

La start-up c’est l’aventure des temps modernes, c’est l’impression qu’il est possible avec un petit groupe trié sur le volet de transformer une idée en réalité. C’est sans doute l’aventure la plus extraordinaire de l’humanité. Vous avez une idée, une idée que personne n’a jamais eu auparavant comme celle de Causality Link ou d’Ilog et vous pouvez la réaliser en équipe. Bien sûr cela ne marche pas à tous les coups parce qu’il y a une dimension technique qui fait que transformer une idée en réalité n’est pas toujours possible à un moment donné. Et au-delà des contraintes techniques éventuelles, il y a une étape très importante qui est que cette idée devenue réalité doit rencontrer le marché. Cette étape n’est pas évidente du tout, surtout quand vous développez des produits ou des services très sophistiqués pour des clients qui le sont aussi et qui peuvent toujours se demander pourquoi ils devraient acheter quelque chose qu’ils pourraient développer eux-mêmes. Cet obstacle est plus marqué dans certains pays que dans d’autres. En France, les dirigeants d’entreprise sont souvent assis sur leur propre idée et ont du mal à accepter que d’autres puissent avoir une meilleure idée que la leur. Aux Etats-Unis, si votre idée est meilleure, elle sera plus facilement acceptée. Une grande différence entre la France et les Etats-Unis, c’est que les entreprises américaines sont beaucoup plus des méritocraties d’idées. Aux Etats-Unis si une meilleure idée que celle que vous aviez en tête se présente pour atteindre la réalité que vous visez alors vous l’absorbez, ce qui fait que l’on avance beaucoup plus vite.   

Quels enseignements tirez-vous de vos expériences qui pourraient être utiles aux candidats à l’entrepreneuriat ?  

Le meilleur conseil que je puisse donner à un jeune qui veut créer son entreprise, c’est de trouver la plus petite fraction de son idée qui va le mieux rencontrer le marché… et c’est loin d’être évident surtout pour un polytechnicien qui a toujours tendance à vouloir aller au bout de son idée ! C’est une leçon que j’ai tiré des premières années d’Ilog à une époque où l’entreprise progressait bien mais pas exponentiellement. Il y avait une autre entreprise qui s’appelait Purify qui était la première à avoir inventé la détection des fuites mémoire dans les programmes C et C++. Avec Ilog nous avions développé un système (Le-Lisp) avec des milliers de fonctions et Purify avec son système ne représentait que 5% des fonctionnalités que nous proposions mais cette petite fraction de notre idée a mieux rencontré le marché.   

Comment voyez-vous l’avenir de l’IA et de l’apprentissage automatique ?   

Avec Ilog, je crois que l’on peut dire que nous avions créé la plus belle entreprise au monde de la première génération de l’IA qui était l’IA symbolique. Mais l’IA symbolique a rencontré des obstacles qui tenaient en grande partie au fait que l’on ne disposait pas des capacités de calculs qui sont aujourd’hui accessibles. Je suis persuadé que le futur de l’IA, ce n’est pas le machine learning, ce pas l’IA symbolique, c’est la fusion des deux. Au fond, l’IA statistique, qui est le machine learning actuel, présente deux faiblesses : d’une part elle ne fait que regarder le passé parce que les données utilisées proviennent du passé alors que l’esprit humain est capable d’anticiper, de sortir de liens de causalité futurs si un ou plusieurs événements le nécessitent ; d’autre part le machine learning est une « black box » inexplicable parce que la transformation opérée des données au modèle perd la trace des sources. La traçabilité du pourquoi n’existe plus dans les systèmes de machine learning. L’IA symbolique avait perdu pied faute de la puissance de calcul nécessaire. Aujourd’hui, cette puissance de calcul est là et avec Causality Link nous avons un modèle du monde alimenté par plus de 120 millions de textes, portant sur 40.000 entreprises, tous les pays, toutes les villes de plus de 500.000 habitants… et 3000 indicateurs de performance. Faire tourner un tel modèle était hors de portée de l’informatique des années 90, aujourd’hui c’est possible pour moins de 200.000 dollars par an.  

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