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Quand la mécanique fait parler les cellules
En deux décennies, la mécano-biologie a montré que les contraintes mécaniques appliquées à nos cellules ont un impact sur la vie et le fonctionnement de ces dernières. Les recherches de Charles Baroud, professeur à l’École polytechnique, s’inscrivent dans cette dynamique. Le chercheur du LadHyX développe notamment des techniques visant à manipuler et à sonder mécaniquement des objets cellulaires 3D bien particuliers : les sphéroïdes (des agrégats cellulaires imitant les tissus ou les tumeurs) et les organoïdes (de petites structures cellulaires reproduisant certaines fonctions d’organes). Ces travaux ouvrent la voie à de nombreuses applications et donnent aujourd’hui le jour au projet Melcart (Mechanical Characterization and Stimulation of Microtissues), soutenu par une bourse ERC Grants Advanced 2024.
Stimuler mécaniquement les cellules
Au cours des dernières années, le chercheur et son équipe ont confirmé leur savoir-faire dans la culture des sphéroïdes et des organoïdes, et ce afin de recréer au mieux in vitro les conditions du vivant (la plupart des études avaient alors lieu sur des cellules individuelles ou des cultures cellulaires monocouches). « Nous avons également levé un verrou technologique en réalisant un dispositif microfluidique capable d’exercer un forçage sur nos objets cellulaires », indique le chercheur. Issu de la robotique molle, le mécanisme est composé d’un polymère souple ressemblant au silicone utilisé pour jointer les fenêtres. Il permet d’appliquer une contrainte mécanique simple (aplatissement par le dessus) aux sphéroïdes/organoïdes et d’en contrôler finement la déformation via un système de chambre à air.
Si une imprimante 3D suffit pour le fabriquer, le dispositif ne permet cependant pas d’appliquer des contraintes uniformes (isotropes) et ne donne aucune indication quant à la force exercée sur les objets cellulaires. « Avec Melcart, nous comptons améliorer cette technologie et parvenir à appliquer un forçage isotrope sur nos sphéroïdes et organoïdes. Nous allons également perfectionner nos techniques de cytométrie multi-échelle, c’est-à-dire les approches que nous utilisons pour réaliser des mesures biologiques ou physiques sur un grand nombre de cellules », souligne le chercheur.
Par des systèmes d’analyse d’image, Charles Baroud est en effet en mesure de récolter un ensemble de données à différentes échelles du sphéroïde ou de l’organoïde, depuis la simple cellule, jusqu’à l’objet dans son entièreté. « La microscopie est centrale dans ce volet du projet. Pour un forçage donné, certaines cellules de nos objets 3D vont se comprimer, tourner sur elles même, ou s’étirer. Il est intéressant de pouvoir déterminer les déformations subies par chacune d’elles, mais aussi par leurs divers compartiments biologiques (cytoplasme, noyau, etc.) et ainsi d’établir une relation entre déformations et efforts mécaniques », explique-t-il. Parallèlement, Melcart prévoit le développement d’algorithmes spécifiques afin de traiter, recontextualiser et rendre plus digeste l’énorme base de données que générera la récolte de ces informations.
La réponse mécanique pour caractériser les tissus
Melcart tente ainsi de répondre à de nombreuses questions et ouvre des perspectives diagnostiques ou thérapeutiques : est-il possible de déterminer l’état biologique d’un tissu à partir de sa réponse mécanique (agressivité d’une tumeur, nombre de cellules cancéreuses qu’elle contient, etc.) ? Est-il possible d’utiliser la mécano-biologie pour guider le développement de tissus biologiques ? Les cellules cardiaques étant extrêmement sensibles à la mécanique, il s’agira par exemple ici d’utiliser ce levier pour améliorer des modèles de cardioïdes et tester la toxicité de certaines molécules sur le muscle cardiaque. « D’autres applications sont envisageables en pharmacologie. Un forçage donné peut-il par exemple activer des protéines de manière différenciée et tuer des cellules cancéreuses tout en préservant les cellules saines d’un tissu ? », interroge le scientifique. La médecine personnalisée entre également dans le champ des applications possibles de Melcart. « Imaginez une biopsie que l’on soumet à un forçage. Les réactions enregistrées lui sont propres, et donc propres au patient. Un traitement peut alors être apporté en réponse à ces caractéristiques ».
Profondément pluridisciplinaire, Melcart est également propice aux synergies entre recherche fondamentale (la compréhension approfondie de phénomènes physiques et biologiques) et recherche applicative via ses débouchés en santé et le volet ingénierie visant au développement de nouvelles technologies. « C’est une des caractéristiques du LadHyX, mais aussi ce qui fait toute la richesse du projet », conclut le chercheur.
* LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris