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Théories quantiques des champs : repartir des principes premiers
Qu’est-ce que sont les théories quantiques des champs ?
Au départ, la théorie quantique des champs est née dans les années 1930 afin de combiner les principes de la physique quantique et ceux de la théorie de la relativité restreinte. Elle permet de décrire par exemple ce qu’il se passe dans les accélérateurs de particules comme celui du CERN. Comme le nom l’indique, le concept de à la base de ce formalisme est celui de champ, qui décrit une quantité qui varie dans le temps et l’espace. En physique des particules, un champ est associé à chaque type de particule (photons, électrons, protons…) et les particules elles-mêmes ne représentent « que » des états particuliers de ces champs. Au-delà, d’autres théoriques quantiques des champs servent dans d’autres domaines de la physique, par exemple pour calculer les exposants critiques, qui sont des paramètres clés dans les transitions de phase du 2e ordre, qui concernent les changements d’états dans de nombreux matériaux. Il constitue aussi un outil dans le cadre de la théorie des cordes, qui cherche à concilier la gravitation avec la physique quantique. Bref, l’usage de ce formalisme est très répandu dans la physique aujourd’hui. Mais il y a encore des limites.
Quelles sont ces limites ?
Malgré ces succès, nous n’avons encore qu’une compréhension rudimentaire de que ce qu’une théorie quantique des champs est vraiment. Quelle sont les structures mathématiques sous-jacentes ? Nous avons des idées sur certains cas particuliers, mais pas en général. En plus de ce problème théorique, qui est une des motivations de mes recherches, il y a aussi des conséquences pratiques. Pour les calculs nécessaires aux prédictions, qui servent comparer théorie et expérience, le principe consiste à faire des sommes sur l’ensemble des configurations possibles des champs. Les calculs exacts sont très compliqués, souvent impossibles. Une des méthodes numériques standards consiste à partir d’un problème plus simple et de s’approcher du problème réel par petites « perturbations » successives. C’est ainsi le principe des diagrammes de Feynman, inventés par le physicien du même nom. Mais cette méthode atteint ses limites lorsque les interactions entre les différents champs sont fortes, par exemple dans le cas des collisions de protons qui se produisent dans l’accélérateurs du CERN. D’autres approches ont été développées pour surmonter ces difficultés et j’essaie de les pousser plus loin au Centre de physique théorique (CPHT*).
En quoi consiste ces approches ?
Ces approches se demandent d’abord à quelles sont les valeurs possibles du paramètre qu’on cherche à connaître. En partant des principes premiers de la théorie, et de conditions très générales comme les symétries du problème, il s’agit de contraindre le plus possible les valeurs possibles plutôt que de se lancer dans les calculs dont je parlais avant. Ces approches dites « bootstrap » ont été développées à partir des années 1960. Dans certains cas très symétriques, elles permettent d’entièrement déterminer la valeur qu’on cherche. Dans d’autres cas, on peut obtenir des contraintes rigoureuses qui fournissent un intervalle de valeurs possibles. Depuis 15 ans, il y a eu beaucoup d’avancées dans ce domaine, en particulier des méthodes numériques qui permettent d’extraire de telles contraintes, notamment pour le calcul des exposants critiques.
Pourquoi votre projet s’appelle-t-il « QFTinAdS » ?
QFT signifie quantum field theories (theories quantiques des champs en anglais). AdS est l’acronyme de « Anti de-Sitter », qui qualifie un type particulier de géométrie de l’espace-temps où la courbure est négative (Willem de Sitter était un physicien néerlandais). La particularité de cet espace-temps est de posséder un bord. Un peu comme un cercle est le bord d’un disque. J’ai évoqué la théorie des cordes et la gravitation quantique : un des intérêts est qu’il y a une équivalence entre une théorie de gravitation valable dans un espace AdS et une autre théorie valable uniquement au bord de cet espace. Le bord possède une dimension de moins que l’espace lui-même, de la même façon qu’un cercle (espace à une dimension) est le bord d’un disque (espace à deux dimensions). Il est donc plus facile d’étudier la théorie sur le bord pour en déduire des propriétés de la théorie valable dans l’espace AdS. L’idée de QFTinAdS est d’étudier non pas une théorie de la gravitation quantique, mais une théorie quantique des champs dans un espace AdS, par exemple la théorie quantique des champs servant à décrire les collisions de protons. On peut montrer qu’au bord de cet espace, cette théorie est similaire à une autre théorie quantique des champs, qui décrit par exemple les exposants critiques. Même s’il n’y a pas d’équivalence totale, il y a une connexion entre les deux. En regardant ces théories au bord, pour lesquelles il existe notamment de bonnes méthodes numériques, on pourrait en déduire des informations sur la théorie valable dans l’espace entier. Cela permettrait de mieux estimer les valeurs clés des phénomènes de collisions de protons. Bien sûr, un espace AdS n’est pas un espace-temps comme celui de notre Univers, dont la courbure est quasi-nulle. Mais on pourrait en tirer des informations utiles lorsque que la courbure se rapproche de zéro. Alors cela permettrait de faire des prédictions pour les expériences du CERN. Je pense que cela peut mener à des résultats fructueux.
*CPHT : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France