Optimiser la forme des semelles de chaussures

Les adeptes de la marche comme de la course à pied le savent bien : chaque foulée engendre un choc et des vibrations. Pour leur confort, les fabricants de chaussures de sport s’intéressent notamment à réduire ces vibrations. C’est le défi qu’a relevé Antoni Joubert pour son travail de recherche, dans le cadre de la Chaire Arkema « Design et modélisation de matériaux innovants ».
Une paire de chaussures de marche. (iStock / Getty Images Plus - VTT Studio)
21 fév. 2023
Chaires, Recherche, Matériaux, Mathématiques, Modélisation, CMAP, LMS
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Lors de la course, l’impact du pied avec le sol produit un choc qui entraine des vibrations qui se propagent le long des jambes. Pour améliorer le confort des athlètes, les entreprises qui conçoivent les chaussures de sport innovent dans la conception de semelles qui amortissent les vibrations.

Dans le cadre de la Chaire « Design et modélisation de matériaux innovants » de l’École polytechnique soutenue par Arkema, Antoni Joubert, doctorant au Laboratoire de mécanique des solides (LMS)*, a travaillé sur l’optimisation de formes de semelles de chaussures. Son objectif était de déterminer la forme optimale pour amortir les vibrations le plus rapidement possible après l’impact. Il s’agit d’un travail de modélisation, en collaboration avec le Centre de mathématiques appliquées (CMAP)**.

Pour développer son programme, le chercheur a travaillé graduellement en montant en complexité : d’abord à partir d’un modèle de poutre en une dimension (1D), puis de plaque en deux dimensions (2D), avant de lui ajouter une certaine épaisseur pour passer en trois dimensions (3D). Enfin, il a utilisé le modèle 3D d’une véritable semelle de chaussure de sport.

Il a simulé numériquement une onde de vibration à laquelle serait soumise la semelle, et observé la réduction de son amplitude par le matériau polymère qui la constitue. Celui-ci a été choisi pour ses propriétés viscoélastiques, c’est-à-dire sa double faculté de dissiper l’énergie (viscosité) comme celle transmise lors d’un choc, et de retrouver sa forme initiale après une déformation (élasticité).

En partant d’une semelle initiale percée à plusieurs endroits, il a cherché la forme optimale des trous qui maximiserait la vitesse à laquelle l’onde de vibration est atténuée. Ces calculs ont été effectués en conservant une quantité de matière égale et une certaine rigidité quelle que soit la forme de la semelle, des paramètres importants pour les problématiques industrielles.

La forme optimale pour le matériau testé présente un gain d’amortissement 17% supérieur à celui de la semelle initiale, une réelle amélioration ! Son allure peut surprendre : la semelle optimisée présente à la fois des trous débouchant sur l’extérieur et qui forment des galeries, et des endroits creux à l’intérieur même de son épaisseur. (Plus de détails en fin d’article)

Cette image montre une vue en coupe de la semelle initiale (avant optimisation) et une vue depuis le dessous de la semelle optimisée. Les zones blanches montrent les trous débouchant de part et d’autre de la semelle. Image fournie par Antoni Joubert.

Antoni Joubert a soutenu sa thèse avec brio le 15 décembre 2022, intitulée « Optimisation de formes de structures viscoélastiques sous sollicitations dynamiques ». Il s’agit de la première thèse de doctorat soutenue dans le cadre de la Chaire « Design et modélisation de matériaux innovants » de l’École polytechnique. Ce travail multidisciplinaire a été dirigé par Julie Diani, chercheuse au LMS et également porteuse de la Chaire, ainsi que par Grégoire Allaire et Samuel Amstutz, tous deux professeurs au CMAP.

Interrogé sur la spécificité de faire sa thèse de doctorat dans le cadre d’une Chaire, Antoni Joubert souligne l’avantage de travailler sur un sujet de recherche appliqué, tout en conservant sa liberté académique. Il a par ailleurs, au cours de sa thèse eu l’occasion de se rendre deux semaines par an dans l’entreprise Arkema pour échanger avec leur équipe de Recherche et Développement (R&D).

« Jusqu’alors, j’avais principalement travaillé dans des laboratoires de recherche académique. J’ai apprécié de pouvoir découvrir le fonctionnement d’une équipe de R&D en entreprise, et de profiter d’un partage de connaissances avec l’équipe sur place. » explique-t-il.

« Le soutien d’Arkema pour ces travaux reflète l’importance de la modélisation pour la mise au point de matériaux de spécialité, performants et respectueux de l’environnement. » précise Nessim Ghamri, Chef de service R&D au Centre de Recherche Rhône-Alpes. « Grâce aux modèles développés, Arkema pourra optimiser le comportement mécanique des matériaux polymères, composites et adhésifs, en étudiant les liens entre microstructure et comportement mécanique pour des applications variées (sport, nouvelle mobilité, énergie renouvelable). »

Pour la suite, Antoni Joubert nouvellement docteur souhaite poursuivre la simulation numérique, et envisage de s’orienter vers l’industrie.

*LMS : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

**CMAP : une unité mixte de recherche CNRS, Inria, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

Pour aller plus loin

Ces courbes représentent l’amortissement de l’onde de vibration par le modèle de semelle initial (en trait plein), et par celui dont la forme a été optimisée (en pointillés). On constate que dans les deux cas, l’amplitude de l’onde se réduit au cours du temps, et cela se produit plus vite avec la semelle optimisée qui est plus performante pour amortir la vibration. Image fournie par Antoni Joubert.

La forme surprenante de la semelle optimisée s’explique par la condition de rigidité imposée lors de l’optimisation. Celle-ci est issue d’un test de flexion classique de l’industrie, utile pour tester la fatigue des semelles. L’une des perspectives du travail de thèse recommande de remplacer cette contrainte de flexion par une condition de chargement représentative de la marche ou la course.

Ce travail, initialement concentré sur l’amélioration de l’amortissement, peut être directement étendu à l’amélioration du dynamisme (propriété en quelque sorte inverse à l’amortissement) de la semelle de chaussure pour des applications sportives comme la course à pied.

A propos de la Chaire Arkema « Design et modélisation de matériaux innovants »

Depuis sa création en 2018, la Chaire « Design et modélisation de matériaux innovants » cherche à inventer les matériaux de demain avec un intérêt particulier pour l’optimisation de leur comportement mécanique. Portées par Julie Diani du Laboratoire de mécanique des solides (LMS), en collaboration avec le Centre des mathématiques appliquées (CMAP) et avec le soutien d’Arkema, les recherches de cette Chaire se concentrent sur le lien entre microstructure et comportement mécanique des polymères et sur l’optimisation du comportement de structures polymères pour des applications variées telles que l’adhésion, le comportement dynamique…

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