Un colloque scientifique autour de la fiction

Les 26 et 27 septembre 2024, le Laboratoire Interdisciplinaire de l'École polytechnique (LINX) accueillait un colloque « Sciences et fiction ». Découvrez les liens entre ces deux concepts.
Le colloque pluridisciplinaire s’est tenu en septembre 2024 à l’École polytechnique.
04 déc. 2024
Recherche, LINX, Biologie, Economie, HSS, Informatique, Mathématiques, Physique
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Quel peut être le point commun entre l'équilibre concurrentiel en économie, les particules élémentaires en physique et les limites du vivant en biologie ? Tous sont, ou ont été à un moment de l’Histoire, considérés comme relevant de la fiction.

Un concept que l’on pouvait redécouvrir à l’occasion du colloque « Sciences et Fiction », qui s’est tenu les 26 et 27 septembre 2024 à l'École polytechnique. Organisé par Nicolas Wanlin et Ismaël Moya, du Laboratoire Interdisciplinaire de l'École polytechnique (LINX*), l’événement a réuni expertes et experts de diverses disciplines pour explorer les liens entre les sciences et la fiction, offrant une perspective unique sur l'utilisation de la fiction comme outil scientifique.

La fiction sert la diffusion des sciences via la littérature, le cinéma ou encore le jeu vidéo. Mais loin d’être cantonnée à ce rôle, elle se révèle aussi utile pour comprendre et agir sur le réel. Le colloque a en effet mis en lumière la fiction comme méthode d'investigation scientifique. Les interventions ont souligné comment l'hypothèse, la simulation, la modélisation ou encore des expériences de pensée permettent de dépasser les limites de l'observation directe et d'ouvrir de nouvelles voies de recherche.

Portrait photo de Raphaël Granier de Cassagnac.
Raphaël Granier de Cassagnac, directeur de recherche CNRS au LLR*, auteur de science-fiction et de jeu vidéo.

Raphaël Granier de Cassagnac, directeur de recherche CNRS au Laboratoire Leprince Ringuet (LLR*) et porteur de la Chaire “Science et Jeu vidéo”, également auteur de science-fiction et du jeu vidéo Exographer, a exploré l'utilisation de la fiction dans les jeux vidéo pour enseigner la physique des particules. Il explique ceci dans son exposé :

 “En physique des particules, il y a un aller-retour entre expériences dans lesquelles on observe de nouvelles particules et théories qui en prédisent pour régler des problèmes conceptuels. Dans ce processus, la fiction a son mot à dire. L’imagination joue un rôle crucial, et certaines particules restent de l’ordre de la fiction, tant qu’elles n’ont pas été observées. Le boson de Higgs, par exemple, a vécu 50 ans dans la fiction. ”

Les interventions présentées lors du colloque ont couvert un large éventail de disciplines, chacune apportant un éclairage unique sur le rôle de la fiction. Les équipes de recherche de l’École polytechnique, dans leur interdisciplinarité, étaient largement représentées. Parmi elles, Frédéric Brechenmacher, professeur d’histoire des sciences au LINX*, a abordé le concept de « fiction mathématique ». Erwan Le Pennec, professeur de mathématiques appliquées et chercheur au Centre de mathématiques appliquées (CMAP*), a discuté de la nature fictionnelle des modèles mathématiques. Olivier Gossner, professeur au département d’économie et directeur de recherche au Centre de recherche en économie et statistique (CREST*), a utilisé le dilemme du prisonnier pour illustrer des concepts de théorie des jeux appliqués aux défis mondiaux comme le changement climatique.

Portrait photo de Jean-Louis Mergny.
Jean-Louis Mergny, directeur de recherche INSERM au Laboratoire d’optique et biosciences (LOB*).

Deux présentations ont abordé la préhistoire.

Jean-Louis Mergny, directeur de recherche INSERM au Laboratoire d’optique et biosciences (LOB*), a exploré les liens entre biologie et fiction, notamment dans la paléogénomique, qui consiste en l’étude d’ADN ancien. Il a notamment évoqué les biais de genre et d’espèce dans les représentations de Néandertal et Sapiens, et partagé les récentes avancées scientifiques ayant contribué à réhabiliter Néandertal.

Portrait photo de Marie-Paule Cani.
Marie-Paule Cani, professeure d’informatique et chercheuse au Laboratoire d’informatique de l’École polytechnique (LIX*).

Marie-Paule Cani, professeure d’informatique et chercheuse au Laboratoire d’informatique de l’École polytechnique (LIX*), a présenté comment l'informatique graphique peut aider à « remonter le temps » en archéologie. Elle a présenté en particulier un projet de recherche en collaboration avec géologues et spécialistes de la préhistoire pour reconstituer numériquement l’histoire de la Grotte de Tautavel. Ce travail a permis de se plonger en 3D dans les données et hypothèses des préhistoriens pour en vérifier la cohérence, d’utiliser l’IA pour simuler le peuplement et la démarche des hominidés et permettra sans doute de résoudre des énigmes comme le nombre étonnant de carcasses de rennes trouvées dans l’une des couches du sol de la grotte. L’équipe de recherche a aussi simulé à rebours l’érosion (notamment fluviale) pour retrouver le terrain tel qu'il était à l’époque, résultat validé par les traces de l’ancien lit de la rivière retrouvées par les géologues.

Les sciences de l’homme et de la société étaient également représentées par un anthropologue, un sociologue, une spécialiste de géopolitique et des war studies, un historien et plusieurs philosophes qui ont chacun montré comment la fiction était à l’œuvre dans leur propre discipline.

Citons parmi eux l’historien Bruno Dumézil (Sorbonne Université/École polytechnique) qui a rappelé que, au Moyen Âge, la vérité historique des récits des origines n’était pas considérée comme un critère essentiel, l’important étant de disposer d’un passé de référence pour les contemporains. Amélie Ferey (IFRI/École polytechnique), quant à elle, a expliqué dans quelle mesure les fictions des wargames peuvent s’avérer intéressantes pour former les militaires aux prises de décisions stratégiques.

Portrait photo d'Ismaël Moya.
Ismaël Moya, professeur à l'X et chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire de l'École polytechnique (LINX*).

En conclusion, cet événement a démontré que la fiction, loin d'être opposée à la science, en est souvent un outil essentiel, mettant en lumière une démarche intellectuelle commune à des domaines pourtant très différents de la recherche et de l'innovation.

« Ce qui définit la fiction est un écart assumé, revendiqué, à la réalité ou à l’observation. La fiction est, entre autres, une technique pour comprendre ou agir sur le réel en rompant ostensiblement avec lui. » expliquent les organisateurs du colloque, Ismaël Moya et Nicolas Wanlin, professeurs à l’X et chercheurs au LINX.

Portrait photo de Nicolas Wanlin.
Nicolas Wanlin, professeur à l'X et chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire de l'École polytechnique (LINX*).

*LINX, un laboratoire École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

LLR : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

LOB : une unité mixte de recherche CNRS, INSERM, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

LIX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

CMAP : une unité mixte de recherche CNRS, INRIA, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

CREST : une unité mixte de recherche CNRS, École Polytechnique, GENES, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

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